Chroniques

par isabelle stibbe

Carmen
opéra de Georges Bizet

Auditorium, Dijon
- 17 novembre 2006
Olivier Desbordes met en scène Carmen à Dijon
© dr

Ce n'est pas la première fois qu'Olivier Desbordes met en scène le plus célèbre opéra de Bizet. Chacun se souvient de sa Carmen arabo-andalouse créée à Marrakech en 2001, avec les jeunes chanteurs d'Opéra éclaté. Au Duo de Dijon, dont il est directeur général depuis sept mois après en avoir été durant quatre ans le directeur artistique, Olivier Desbordes a opté pour une mise en scène sobre et classique. Ici, pas d'espagnolades, ni de robes à volants ou de castagnettes. Dans un décor simple – plan incliné délimité par des lampadaires bruns qui contrastent avec deux rangées de murs blancs –, « l'espagnolisme » est seulement suggéré : un éventail, une mantille, un guidon-taureau, un trait de rouge sur la robe noire de Carmen. Cet espace dépouillé est le même tout au long des quatre actes. Seule la lumière change : blanche et diurne au premier, ocre et nocturne dans la taverne de Lillas Pastia, bleutée comme au petit jour dans les montagnes où officient les contrebandiers, jaune comme un soleil radieux dans les arènes de Séville. Des détails s'ajoutent au fil de a représentation : lampions et tapis d'orient suffisent à transformer la place publique du I en taverne au II ; de même, au dernier, un théâtre tracée à la craie devient le lieu où se joue le combat ultime entre amour et mort.

Si le parti pris de classicisme est louable, la lecture du personnage de Carmen est plus contestable. « Carmen, la femme libre », proclame Olivier Desbordes. Certes, mais elle est aussi une femme qui joue de séduction, attribut qu'on cherche en vain dans la proposition de l'interprète du rôle-titre, Martine Olmeda. Son apparition même est manquée. Alors qu'entourée des cigarières elle devrait s'en détacher de manière incontestable, telle un astre éblouissant qui éclipse les autres corps célestes, on ne la remarque pas. Il faut dire que l'informe blouse grise, les mains dans les poches et la démarche lourde n'engagent guère à la sensualité. La fleur est jetée jambes écartées, rendant cette Carmen non pas sulfureuse mais vulgaire. Quant à la voix, souvent acide, elle laisse perplexe. Ce soir, Martine Olmeda est souffrante ; cela suffit-il à expliquer une terrible absence de style qui se manifeste notamment par une habanera hachée, une séguedille aux portamentos outrés, des récitatifs mal joués ?

Face à elle, le Don José de Carlo Guido n'est pas plus engageant. La voix est tendue dans les aigus, presque tout le temps en force, et laisse passer de l'air. Une mauvaise posture du chanteur occasionne également des problèmes de justesse et des fins de phrases tombantes. La plupart des voix masculines ont d'ailleurs des problèmes de justesse, à l'exception d'Evgueni Alexiev. Le Bulgare est certes un peu frêle pour le rôle d'Escamillo, mais son beau timbre compense heureusement un accent prononcé. Quant à Karine Godefroy, d’une voix lyrique, perlée et pleine à la fois, elle compose une Micaëla si touchante qu'on en vient à regretter qu'elle n'ait pas plus d'airs à chanter. Les rôles secondaires féminins de Mercédès (Hermine Huguenel) et Frasquita (Cécile Limal) sont tenus convenablement, surtout pour la deuxième.

L'Orchestre de Dijon est conduit par Dominique Trottein qui, dès les premières mesures, attaque la partition de façon nette et enjouée. On aimerait plus de couleurs, mais l'ensemble est fort honorable. Le Chœur est homogène bien qu’un peu statique. On notera une petite liberté par rapport à la partition : les jeunes enfants qui entonnent habituellement l'air de la garde montante sont remplacés par des jeunes femmes – « Carmen, le chœur libre » aurait pu ajouter Olivier Desbordes.

IS