Chroniques

par isabelle stibbe

Carmen
opéra de Georges Bizet

Théâtre du Châtelet, Paris
- 26 mai 2007
Nikolaï Schukoff est Don José (Carmen de Bizet) au Châtelet (Paris)
© marie-noëlle robert

Tonique, percutant, jamais sans doute le prélude de Carmen n'aura été interprété de façon aussi brillante, jubilatoire. Le mérite en revient à Marc Minkowski : à la tête des Musiciens du Louvre, le chef attaque les premières notes avec un appétit gargantuesque et une générosité gourmande. D'un mets maintes fois resservi, il sait exhaler les arômes les plus inattendus pour donner une saveur nouvelle à ce classique de l'art lyrique. Témoins lestempi parfois très lents, comme celui du chœur des cigarières du premier acte. Surprenant d'abord, le choix convainc rapidement, tant il suggère à merveille l'alanguissement des ouvrières fumant voluptueusement. Le reste est à l'avenant et démontre, s'il en était besoin, que le talent de Minkowski ne se cantonne pas au seul répertoire baroque.

On est plus circonspect à l'égard de la mise en scène.
Bunker à moitié enfoui à l’Acte I, château d'eau grisâtre au II, ruines d'église en fait de montagnes au III, c'est à se demander si Martin Kušej (qui avait déjà monté cette production à la Staatsoper de Berlin en 2004), ne s'est pas trompé d'œuvre. Sombre, tranchant avec la jubilation de l'orchestre, la lecture du metteur en scène autrichien fait davantage penser à Wozzeck qu'à l'opéra de Bizet. Comme le soldat de Berg, Don José semble constamment ballotté par des forces trop grandes pour lui, des forces qui le dépassent et qu'il ne comprend pas. D'un drame passionnel, Carmen devient drame social. Et comme si la mort n'était pas suffisamment présente, le metteur en scène semble prendre plaisir à en ajouter, s'écartant ainsi de la nouvelle de Mérimée et du livret de Meilhac et Halévy. Avant de poignarder Carmen, voilà Don José tuant Zuniga dans la taverne de Lillas Pastia (ce qui rend particulièrement ridicule la réplique du Dancaïre : « en attendant, mon officier, passez devant sans vous faire prier »), puis Micaela par une balle perdue. Escamillo, quant à lui, mourra lors de son combat avec le taureau. L'esthétique est tout aussi pesante : à part le début IV dont la lumière sépulcrale n'est pas sans évoquer l'univers de Bob Wilson, les décors et les costumes rappellent plus l'Allemagne de l'est des années soixante-dix que l'Espagne flamboyante décrite par Bizet.

Le livret choisi est celui de la version originale et intégrale.
Plus nombreux qu'à l'accoutumée, les dialogues auraient nécessité d'être dits par des acteurs confirmés. Ce n'est, hélas, pas le cas : mal dirigés, les chanteurs sont encombrés de leurs répliques qui, jetées n'importe comment, sonnent presque toujours faux. Musicalement, le plateau ne convainc pas totalement. Sylvie Brunet a la voix profonde et chaude qui convient parfaitement à Carmen, mais à son personnage il manque le piquant, la sensualité et le goût du jeu de la Bohémienne. Nikolaï Schukoff peine dans les aigus de Don José au point de passer en voix de tête dans son duo avec Micaela. au point de passer en voix de tête dans son duo avec Micaela. Cette dernière, interprétée par Genia Kühmeier, a une technique sûre – ses glissandos chantés pianissimo sont remarquables– mais n'émeut pas. Du toréador, l’Escamillo de Teddy Tahu Rhodes a la prestance, mais son articulation à l'anglaise et ses difficultés dans les aigus gâchent la qualité du timbre. Dans les seconds rôles, Nora Sourouzian (Mercedes) retient particulièrement l'attention par sa bonne émission vocale.

Le Chœur d'enfants Sotto Voce mené par Scott Alan Prouty possède une grâce légère et aérienne. En dépit des incongruités qui leur sont demandés, comme ce début de quatrième acte où les figurants doivent courir dans tous les sens, les enfants éclatent du plaisir de jouer. Ce sont précisément le plaisir et le jeu qui, l'orchestre mis à part, font cruellement défaut dans cette production.

IS