Chroniques

par françois cavaillès

Cantemus Korus Nyiregyhaza dirigé par Soma Szabó
Miskolci Szimfonikus Zenekar dirigé par Quentin Hindley

Sylvia Schwartz, Élodie Méchain, Zoltán Megyesi, Marcell Bakonyi
Les grandes voix / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 13 février 2018
Quentin Hindley joue le Requiem de Mozart au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© david duchon-doris

Paris glacé... et jeté en plein désarroi, quand de Hongrie deux formations viennent offrir, au Théâtre des Champs-Élysées, deux grands classiques du classique. Au terme d'une étincelante vie comme d'un acte de tant de merveilleux opéras, le Requiem et la toute dernière symphonie de Mozart expriment encore, générosité dans l'union générale mieux que rédemption par-delà la mort.

Avec modestie et douceur s'ouvre l'Allegro vivace de la Symphonie en ut majeur n°41 K.551 « Jupiter », révélateur d'une profonde ambivalence, entre verve élégante et politesse délicate, sous la baguette de Quentin Hindley tenue ferme, direction langoureuse et explosive du Miskolci Szimfonikus Zenekar (Orchestre Symphonique de Hongrie-Miskolc) – des larmes dans un sourire. L'effet est confondant à travers le jeu malin et chantant d'alternances qui assurent à ce premier mouvement un franc succès original. Puis l'Andante cantabile, au calme pastoral, tétanise le public par ses échos lancinants d'une recherche de plénitude, menant à une joyeuse conclusion. Mais, passé le félin menuet, c'est l'idée première du terrible tumulte vital qui traverse les esprits avec tant de cœur, d'élans et d'allégresse ! Au final Molto allegro, l'orchestre très digne et classieux rend avec beaucoup de justesse la leçon du formidable crescendo, à la fois humble et tout-puissant, évocateur d'étreintes éperdues, interrompues, reportées... Jupiter orbite sur les traces de Don Giovanni (composé moins d'un an plus tôt, en 1787).

À l'entame du Requiem en ré mineur K.626 (1791), aux âmes sensibles l'espoir être encore plus désarçonnées ! On y rencontre tout d'abord, à la lueur des bassons, dans la douce liturgie de l'Introït, le soprano assez fascinant de Sylvia Schwartz. Comme d'une même faveur, le Cantemus Korus Nyiregyhaza (Chœur Cantemus de Nyiregyhaza) paraît déjà fort bien accordé, pour se montrer assez terrifiant sur les cimes du Kyrie. La mer vocale, valorisée par la direction orchestrale, grossit encore pour le Dies Irae vertigineux, d'une tension effrayante, jusqu'à ce que les autres solistes – la noble basse au superbe timbre Marcell Bakonyi [lire notre chronique du 13 août 2014], le ténor léger et spirituel Zoltán Megyesi [lire nos chroniques du 9 juillet 2014 et du 1er juin 2010] et l'alto au lyrisme bien mesuré d'Élodie Méchain – dévoilent la teneur sacrée du grand œuvre :

« Mors stupebit et natura,
cum resurget creatura
judicanti responsura ».

La mort et la nature s'étonneront, quand la créature ressuscitera pour rendre compte au Juge », extrait du Tuba mirum). La parousie mène au Rex tremendae, bref comme le jour hivernal et étrangement déconcertant... En fait, aux chants hantés du Recordare et son prélude de rêve, l'impression est devenue nette et sublime, celle d'un requiem comme monument d'harmonies, comme formidable courtepointe créative, comme synthèse d'un voyage perdu sans destination finale. Chœur et orchestre tracent à merveille le fil conducteur d'une grande clarté sonore, tandis qu'au plan strictement musical, la liturgie atteint un niveau humain inouï d'expression humaine, naturelle d'un propos surnaturel. Par l'excellence de la composition, la féérie chorale et l'esprit orchestral de commando accompagnateur de la prière collective, le Confutatis transforme la scène en foyer d'un feu sacré (« cor contritum quasi cinis » : le cœur broyé comme cendre) pour parvenir au premier vrai sommet, Lacrimosa. Dès lors, le désarroi perçu dans la symphonie Jupiter mûrit grandement à travers l'Offertoire au chœur tour à tour tourmenté, assagi, déchirant, angélique...

Ainsi l'homme se prend-t-il chaque jour les pieds dans le tapis. Toutefois, s’il s'élève jusqu'à l'Agnus Dei, d'un ton stupéfiant et d'une gravité maximale chez Mozart, il peut voir Lux aeterna (éternelle lumière) en la fugue maîtrisée par les cordes du Symphonique de Miskolc, concluant par une large signature baroque, certes, mais semblant ouvrir enfin, aux ultimes notes, la voie à la musique maçonnique, possible dernière amie du compositeur mourant.

FC