Chroniques

par bertrand bolognesi

cérémonie des masques Bwaba
danses de Boni (Burkina Faso)

Musée du Quai Branly, Paris
- 17 décembre 2006
cérémonie des masques Bwaba au Musée du Quai Branly, à Paris
© anne-laure bourget

Il n'est pas fréquent de pouvoir assister à une Cérémonie des masques Bwaba… à Paris ! Le Musée du Quai Branly accueillait, ces derniers jours, le spectacle de Danses de Boni, venu du Burkina Faso, présenté par la troupe que dirige Yacouba Bonde. Cette initiative si attrayante sur le papier, comme l'on dit, s'est néanmoins révélée bien décevante. Le travail et l'investissement des artistes n'est pas en question ; au contraire, un grand désir de partager un vrai moment avec le public réuni au Théâtre Claude Lévi-Strauss, situé au sous-sol du nouveau musée des Arts premiers, enthousiasmait la musique et la danse autant que les regards qu'on leur portait. Tout un panthéon de divinités et d'animaux occupait le plateau, animé par trois tambours, des sifflets (c'est ainsi que la brochure-programme désigne, en fait, les flûtes), des invectives vocales et, surtout, par un impressionnant xylophone à calebasses, véritable colonne vertébrale de la cérémonie.

Malheureusement, les instruments et les voix étaient captés par des microphones, de sorte que le son produit ne put être goûté que par l'intermédiaire, par définition infidèle, de haut-parleurs. Cela pose un grave problème : nous sommes dans un théâtre aux proportions modestes qui favorisent une saine proximité avec la scène ; ainsi, lorsqu'on se trouve installé au premier rang du gradin nord, par exemple, il suffit de tendre le bras pour effleurer les danseurs. Cela implique la possibilité d'un rapport direct avec le son qui – est-il besoin de le préciser ? – ne saurait ici se perdre. En sonorisant la représentation, on provoque un effet pervers : la nature des sons étant rendue totalement inaccessible, la proportion entre l'émission instrumentale et celle des voix n'étant plus respectée, le spectateur a soudain le sentiment que les artistes qui produisent ces sons devant lui ne sont tout simplement pas là ! L'artifice et l'exagération – car croyez-vous qu'il puisse être nécessaire d'augmenter des tambours ? – créent une terrible distance qui discrédite toute la cérémonie. L'impression est parfaitement comparable à celle que procure un film mal doublé : l'improbabilité de telle voix et surtout de telle diction émanant d'un visage en particulier génère la certitude que le personnage ment ou qu'il est fou. Ici, au détriment de la troupe mise en présence, tout semble en toc.

Cet aspect du spectacle s'avère en totale adéquation avec l'ensemble du Musée du Quai Branly, un lieu aux vastes dimensions qui n'offre qu'une infime partie des collections disponibles et se contente de les montrer sans accompagnement digne de ce nom. On quitte l'endroit avec la durable amertume venue d'une cuisante constatation que la conception de l'édifice ne prit pas son sujet au sérieux, et que donner à voir quelques objets sans en initier le contexte suffit largement au petit esprit néo-colonialiste qui en a régi la logique. Le visiteur observera une signalétique inepte, un hall immense et vide – une débauche de vide alors que le manque de place est la maladie des musées nationaux ! –, un jardin vaguement ludique, un restaurant et une boutique-librairie, rencontrera çà et là de rares pièces déposées comme des vestiges folkloriques, croisera en revanche une armada de gardes-chiourmes peu aimables, dans un luxueux entrepôt où il pourrait regretter de ne s'être pas muni d'un casque, car le chantier n'en est pas même fini (il y a tristement si peu d'œuvres à regarder que l'œil remarquera les plâtres fissurés, les peintures écaillées, sans parler de détails de plomberie fuyante dans ce qu'il est convenu de nommer les lieux).

Mais, après tout, si l'on emmène ses enfants ici, le dimanche après-midi, parce que c'est moins loin et plus branché que le zoo de Vincennes, on en supportera fort bien la négligence, l'inconfort et l'étourdissante futilité. Séduits par une communication incontestablement très professionnelle, nous envisagions de suivre de près la programmation du Théâtre Claude Levi-Strauss ; mais notre sympathie ne saurait s'attarder aux faux-monnayeurs.

BB