Chroniques

par monique parmentier

Bruno Cocset et Les Basses réunies, Benoît Haller et
La Chapelle Rhénane, Amandine Beyer et Gli Incogniti

Préludes de Sablé / Centre Culturel et Église de Sablé
- 1er et 2 mai 2010
Venise est à l'honneur du nouveau Festival de Sablé (2010)
© bertrand bolognesi

Le Festival de Sablé fêtait ses trente ans en août dernier. Depuis quelques années, il offre à son public des Préludes où retrouver la musique après un long hiver, sur un week-end de quatre concerts. Reconnaissant, les mélomanes viennent nombreux et en famille à ce rendez-vous, silencieux et concentrés, savourant chaque instant avec un bonheur toujours renouvelé. Cette année, Jean-Bernard Meunier, le directeur du la manifestation, invite à embarquer pour la Venise… baroque, bien évidemment.

Du premier concert (en fait le second des Préludes, mais le premier auquel nous assistons), il reste des impressions fugitives, fulgurantes, et un fort sentiment d'intimité avec la musique.Les Basses réunies, sous la direction deBruno Cocset, fait redécouvrir une cité vivante, palpitante, changeante, dans un programme intitulé Un voyage à Venise. Les paysages ici dévoilés sont comme autant de facettes de l'effervescence qui régna tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles dans la Sérénissime. De Frescobaldi à Marini en passant par Della Casa et De Selma, lescanzonette et autres fantaisies la révèlent nouvelle ; le temps semble suspendu, en ce XVIIe siècle où elle n'est déjà plus une super puissance mais ne renonce pas à rayonner.

Mélancolique, la musique nous fait entendre la voix des ombres et d'un futur plein d'incertitudes. Mais par ses audaces et sa virtuosité, elle se refuse au renoncement. Dans la seconde partie du programme, par les voix deBenedetto Marcello, Domenico Scarlatti et Antonio Vivaldi, la Cité des Doges se joue de la nuit et du jour en des fêtes sonores. L’art devient une partie de masques qui cache ou révèle sa somptuosité multicolore et sa nostalgie du temps qui passe.

Bruno Cocset, dont la lumière semble irradier de l'archet, et ses trois compagnons en dévoilent nuances et couleurs avec humilité et sensibilité. L'éloquence des phrasés entretient la vigueur et la musicalité de ces conversations entre amis auxquelles participe, au clavecin et à l'orgue, Bertrand Cuiller dont la délicatesse d'interprétation des trois sonates pour clavecin de Scarlatti est pure merveille. Au ténor de violon et violoncelle, Emmanuel Jacques, et à la contrebasse Richard Myron, participent avec élégance à la richesse et au sentiment d'intemporalité de ce concert.

Autre moment fort du week-end, les Vêpres de la Vierge de Monteverdi. Si cette œuvre universelle fût composée pour Rome, elle fut bel et bien créée à Venise il y a quatre cents ans. 2010 est donc un anniversaire que les ensembles baroques fêtent avec faste. Ce soir, Benoît Haller et La Chapelle Rhénane, entourés d'une remarquable distribution très homogène de neuf chanteurs, en offrent une interprétation engagée, manquant toutefois de sensualité dans le continuo.

De la distribution on retient particulièrement les deux sopranos Tanya Aspelsmeier et Aurore Bucher. Leurs timbres clairs, leurs colorations viennent prolonger l'angélisme de la harpe. Les sept voix masculines sont toutes superbes et théâtrales. Impérieuse et précise, la direction emporte en un élan qui va crescendo jusqu'à un Magnificat véritablement sublime. Ils livrent une interprétation dense et intense d'une musique au goût d'éternité.

Pour conclure ses Préludes, nous retrouvons avec un plaisir toujours aussi vif Amandine Beyer et Gli Incogniti. Leur version des Quatre Saisons est unique et bouleversante. Révélé ici-même en 2008, éditée ensuite chez Zig-Zag Territoires, elle redonne des couleurs flamboyantes et des nuances raffinées à une œuvre que nous n'écoutions plus vraiment. Brisant les idées reçues, Amandine Beyer et ses ami(e)s font entendre toute la palette sonore et affective de Vivaldi. Leurs sourires, leurs regards, leur complicité invitent à l'étrange et fascinante découverte d'une musique dite descriptive qui redonne vie aux ruelles et aux canaux. Elle rend encore plus intangibles ses instants volés au temps. L'on se surprend à reconnaître les bruits et sensations du quotidien, à entendre la pluie heurter les vitres, les chiens aboyer au loin, l'orage magnétiser l'air, les rires et les chagrins, les bribes de conversations. Au clavecin, Anna Fontana évoque l'horloge qui court ou le cristallin de l'eau qui s'écoule, ainsi que Francesco Romana au théorbe. Les violons, l'alto et le violoncelle s'enivrent de virtuosité. Amandine Beyer semble s'entretenir avec son violon et s'étonner des réponses. L'interprétation de Gli Incogniti favorise la liberté du phrasé qui génère un sentiment de fantaisie radieuse.

MP