Chroniques

par david verdier

Bruckner par Semyon Bychkov
Symphonie en ut mineur n°8 (A 117), version Nowak 1890

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 23 mars 2013
Semyon Bychkov dirige l’Orchestre de l’Opéra dans la Huitième de Bruckner
© dr

Le hasard de la programmation promettait en ce mois de mars une curieuse confrontation autour de la Huitième symphonie d'Anton Bruckner. Les caprices de la météo ayant conduit à l'annulation du concert des Wiener Philharmoniker, nous ne bouderons pas notre plaisir à commenter la prestation de Semyon Bychkov à la tête de l'Orchestre de l'Opéra national de Paris.

Le chef américain (d’origine russe) opte à cette occasion pour la version Nowak, plus évidente de sens et de portée, surtout quand il s'agit de diriger une formation qui n'a pas pour tradition l'univers symphoniste. Cette sonorité si caractéristique est l'élément que l'on perçoit au premier abord. Les prémices de l'Allegro moderato servent de round d'observation entre un chef visiblement impressionné par l'enjeu, mais sûr de son coup, et des musiciens attentifs à trouver leurs marques quand il s'agit de faire se lever la masse sonore. Le jeu de flux et reflux des cordes prends corps progressivement, au fur et à mesure qu'approche l'acmé de la grande arche à mi course du mouvement. Bychkov est aux antipodes d'un mysticisme de pacotille, privilégiant au contraire une sobriété salutaire pour l'équilibre musical. Les phrases ne s'étirent pas au delà du nécessaire, quitte à les abréger d'une battue un peu raide aux entournures.

L'Adagio est (sans surprise) le centre nerveux de l’interprétation.
Les rudesses du Scherzo ne traduisent pas autre chose que la volonté d'en découdre avec cette demi-heure de glacis harmonique, au risque d'un lancinant et hypnotique surplace. Les cuivres de l'Opéra se montrent à la hauteur du défi, impeccables d'homogénéité tant dans les longues tenues que dans les attaques. La masse sonore prend corps sans que le chef ait besoin de surligner les intentions. Seul reproche, en définitive, ce relatif manque de liaison organique entre les pupitres : un beau fini soyeux des cordes, des cuivres puissants, des bois très expressifs mais une absence de vision d'ensemble, un dialogue trop timoré qui refuse de laisser s'épancher le discours ou percer çà et là l'intervention d'un soliste.

Pris au piège du classicisme – un comble chez Bruckner –, le final puise son intérêt dans l'éclat très vif des masses instrumentales. Le résultat est juste et sonore, sans pour autant bousculer l'écoute ou faire se lever d'enthousiasme l'auditeur. La réalisation de la coda est remarquable et laisse imaginer ce dont cet orchestre est capable. Avec discipline et concentration, le grand crescendo s'élève jusqu'au point culminant. La vision cosmogonique attendra ; on ne quitte jamais la sphère du profane (qui n'est pas l'ennemi du raffinement et du cousu main).

DV