Chroniques

par pierre-jean tribot

Bruckner, Mahler et Zimmermann par Kent Nagano
Beethoven, Strauss et Schreker par Daniele Gatti

Salzburger Festspiele / Felsenreitschule, Salzburg
- 5 et 6 août 2005
l'heure du Salzburger Festspiele vue par Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi

En dehors des opéras, le Salzburger Festspiele est un grand festival de concerts où se produisent les plus prestigieux artistes du moment. Ainsi les Wiener Philharmoniker présentent-ils, en plus de leur participation à différentes productions scéniques, une série de rendez-vous symphoniques sous la direction des chefs les plus médiatisés. Pour cette apparition au Manège des Rochers, la formation a convié l'Italien Daniele Gatti.

En écho aux représentations des Stigmatisés [lire notre chronique du 4 août 2005], ce concert débute avec le Prélude pour un grand opéra (Memnon) de Franz Schreker. La partition du compositeur allemand (1933) devait être l'introduction d'une œuvre lyrique qu'il envisageait comme la pièce maîtresse de sa production. D'une vingtaine de minutes, cette page témoigne une nouvelle fois de la science orchestrale de Schreker qui utilisait les possibilités instrumentales pour tisser un écrin somptueux et voluptueux. Malheureusement, l'interprétation lisse et policée du chef italien ne parvient pas à rendre les différents climats de l'œuvre. Unique soliste de ce moment, le soprano finlandais Karita Mattila fait une première apparition dans l'aria Ah ! Perfido de Beethoven. Dès les premières notes, on est pris d'un malaise, tant l'accompagnement orchestral est d'une navrante indigence : aucune tension dans ce « yo-yo rythmique » mené par Gatti. C'est d'autant dommage que Mattila maîtrise cette partition comme personne et qu'elle parvient, servie d’une technique exceptionnelle et d’un timbre galbé et rayonnant, à en rendre les émotions. La seconde partie offre la Quatrième symphonie de Gustav Mahler dans laquelle le chef souffle le froid et le chaud. Les deux premiers mouvements, menés à vue, sont mécaniques et creux. Il faut attendre le sublime Ruhevoll pour que, curieusement transfiguré, il daigne élever le discours. Encouragée par les raclements gutturaux du maestro, la Philharmonie de Vienne revêt enfin ses timbres uniques. Le dernier épisode, joué dans un esprit chambriste et chanté avec une douceur confondante par Mattila, soulève l'enthousiasme.

Le festival programme également de nombreux concerts en matinée. C'est particulièrement louable, tant la pluie est omniprésente dans la ville de Mozart. En ce matin humide, le Deutsches Sinfonieorchester Berlin joue sous la direction de son chef Kent Nagano un programme généreux et original. Après un Adagio de la Dixième de Mahler, superbe de maîtrise et de construction, l'orchestre est rejoint par un baryton et deux récitants pour jouer une rareté, Ich wandte mich und sah an alles Unrecht, das geschah unter der Sonne, action ecclésiastique de Bernd Alois Zimmermann. Cette partition d'une bonne demi-heure apparaît comme le testament musical et spirituel du compositeur allemand. Fruit d'une maturation de quatorze ans, cette pièce à l'effectif orchestral impressionnant possède une grande force dramatique.

À l'occasion de ses quatre-vingt ans, Dietrich Fischer-Dieskau assure les parties solistes qu’il partage avec l'acteur allemand Christoph Bantzer et le barytonDietrich Henschel. Engagé et possédé par son texte qu'il déclame sans même fixer la partition, le géant du chant soulève l'enthousiasme du public, alors que son ancien élève (qui n'est jamais aussi bon que dans la musique contemporaine) se hisse à des hauteurs qu'il n'approche que trop rarement. Kent Nagano, qui connaît sur le bout des doigts ce répertoire, évite que l'ambitieuse partition ne verse dans l'ennui.

La seconde partie est dédiée à la Symphonie n°6 d’Anton Bruckner. Nagano, auteur d'un convenable mais pas déterminant enregistrement de la Troisième du maître de Linz, frappe fort. Son approche lumineuse, analytique mais jamais froide ni sèche, convient parfaitement à cette œuvre hybride. Elle culmine dans un mouvement lent exceptionnel d'abandon et de clarté polyphonique. Le précis et dynamique orchestre berlinois suit fidèlement ses indications.

PJT