Chroniques

par laurent bergnach

Blockbuster
spectacle du Collectif Mensuel

Théâtre 71, Malakoff
- 7 octobre 2016
au Théâtre 71 de Malakoff : Blockbuster, un spectacle du Collectif Mensuel
© dominique houcmant | goldo

Depuis sa création en 2007, Collectif Mensuel s’est tourné vers le plus grand nombre, convaincu que le théâtre a pour vocation de « traduire à la scène des thématiques propres à notre époque, de s’interroger sur la responsabilité citoyenne de la prise de parole publique », qu’il reste le moyen le plus efficace, le plus ludique pour se saisir de sujets complexes, afin de les mieux comprendre. En tournée franco-belge jusqu’en mai prochain, son nouveau projet se nomme Blockbuster, terme d’origine militaire qui désigne un film dont les bénéfices se veulent aussi lourds qu’est léger le scénario. C’est ici une politique-fiction où la violence populaire répond à celle de la classe dominante, où l’humour se conçoit comme instrument de contestation. Et puisque sarcasme il y a, nous partons la découvrir avec en tête deux exemples de détournements similaires, qu’on imagine connus de l’équipe artistique.

Le premier est le livre de Julio Cortázar, Fantomas contra los vampiros multinacionales (1973), court roman ironique dans lequel Moravia, Sontag et l’auteur lui-même ont reçu l’interdiction de publier sous peine de mort. Quelques vignettes tirées des aventures dessinées d’un héros masqué alternent avec le texte dénonçant l’aliénation des peuples sud-américains, dont les phylactères évoquent, par exemple, le cynisme des éditeurs devant des livres qu’on brûle ou la parodie brechtienne des mœurs bourgeoises. Le second exemple concerne le long métrage de John Waters, Cecil B. Demented (2000), dans lequel le rôle-titre, un réalisateur underground, séquestre une star formatée Hollywood pour lui faire tourner de force un film anti-commercial, débarrassé des artifices de l’usine à rêves.

À sa manière, Collectif Mensuel pratique aussi un kidnapping mémorable en choisissant mille quatre cents plans tirés de cent soixante films américains, au service d’une fable insurrectionnelle dotée d’une distribution luxueuse jusqu’au moindre figurant – Will Smith, nez sur son téléviseur (I am Legend, 2007). Ici, Michael Douglas incarne le patron des patrons, en lutte contre la taxe gouvernementale visant les hauts revenus ; Julia Roberts une journaliste d’investigation qui enquête sur les sociétés offshores ; Sean Penn un travailleur social face à la réduction de subventions ; Al Pacino un chômeur désespéré dont le braquage tourne mal ; etc. Explosions et courses-poursuites agrémentent des dialogues autour de l’État providence et de réseaux sociaux en résistance.

En contre-bas de l’écran, installés dans un bric-à-brac de meubles et de lampes de chevet, cinq artistes se chargent du bruitage, du doublage (Sandrine Bergot, Baptiste Isaia, Renaud Riga) et de la musique (Quentin Halloy et Philippe Lecrenier, principalement). Le spectacle s’avère virtuose, drôle bien sûr, mais pas aussi bouffon qu’on l’attendait. Ainsi, l’absence de contre-emploi est criant, quand on sait l’armure de glace que peuvent revêtir Judi Dench, Helen Mirren, et Meryl Streep, l’énergie mise par Julia Roberts à remuer la vase ou encore l’absence neuronale associée à Sylvester Stallone. Cette familiarité inquiète au lieu de rassurer, et plonge nos rires dans l’amertume. Dénoncer la sauvagerie capitaliste peut-il, décemment, s’accommoder du divertissement pur ?

LB