Chroniques

par jérémie szpirglas

Berio puissance Strasnoy

Académie-festival des Arcs / Coupole, Arc 1600 et Centre Taillefer, Arc 1800
- 21 et 22 juillet 2009
Bertrand Bolognesi photographie le compositeur Oscar Strasnoy
© bertrand bolognesi

Le projet est séduisant, sa mise en œuvre titanesque, sa réalisation fascinante. Tout est né d’une idée du directeur artistique, Eric Crambes. Grand défenseur de la musique d’aujourd’hui, il a voulu présenter au public de son festival (et aux élèves de son académie) l’intégralité des Sequenze de Berio. Cycle monumental (et unique en son genre) de pièces solistes qui ponctue près de cinquante ans de la vie créatrice du compositeur, les Sequenze ont rapidement acquis, pour chacun des quatorze instruments auxquels elles sont destinées, un statut de référence instrumentale et technique – voire même de sommet de virtuosité vingtiémiste. Le programmer en entier est donc à la fois ambitieux vis-à-vis du public – qui, en l’occurrence, en redemande – et pour les musiciens – bien rares à pouvoir monter une telle partition. Heureusement, Eric Crambes est un violoniste d’exception (il joue lui même, avec une âpre résolution, la superbe Sequenza VIII qui, à l’instar de la célèbre Chaconne de Bach, se veut à elle seule un résumé quintessentiel du jeu violonistique du vingtième siècle) et compte parmi ses amis des solistes tout aussi talentueux : Xavier Gagnepain, violoncelliste fin et plein d’humour, Bruno Maurice, accordéoniste intimiste, et bien d’autres encore.

À ce projet titanesque, s’en ajoute un autre, d’une grande témérité lui aussi : commander à un compositeur quatorze Ecos, joués chacun immédiatement après la Sequenza correspondante – le mot écho pouvant signifier tout aussi bien commentaire que trace, ou même faire figure de jeu de mot rappelant la longue amitié et collaboration entre Luciano Berio et l’écrivain et sémiologue Umberto Eco. C’est le Parisien d’origine argentine Oscar Strasnoy qui se prête au jeu, avec une réelle générosité et une véritable intelligence – il rend au maître un hommage discret, sans s’effacer, ni l’imiter ou le contredire gratuitement. Reprenant parfois un groupe de notes, parfois juste une idée ou une figure effleurée par la Sequenza, il évite soigneusement tous les pièges de l’exercice (tous les à la manière de et autres hommages compassés). Passionné comme Berio de théâtre musical, il demande aux musiciens d’ajouter au son de leur instrument celui de leur voix – fragments de phrases, bribes de conte pour enfant – qui structure de manière inattendue ces courtes pièces qui ne durent jamais plus de deux minutes.

Cette mise en perspective des deux cycles, Sequenze d’une part et Ecos d’autre part, contribue également à installer Berio parmi les grands classiques dans l’esprit du public. En effet, s’il sert de référence à un jeune compositeur d’aujourd’hui, c’est qu’il a bien le même statut, dans le panthéon des compositeurs, que Bach, Beethoven (auxquels Strasnoy a déjà rendu hommage dans ses œuvres précédentes), et Brahms, qui partage avec lui l’affiche de cette édition 2009 décidément très riche de l’Académie-festival des Arcs.

JS