Chroniques

par bertrand bolognesi

Belshazzar HWV 61
oratorio de Georg Friedrich Händel

William Christie et Les Arts Florissants
Salle Pleyel, Paris
- 18 décembre 2012
William Christie joue l'oratorio Belshazzar (Händel) à la salle Pleyel (Paris)
© denis rouvre

Nouveau rendez-vous avec un grand oratorio sacré de Händel, ce soir, puisque William Christie et ses Arts Florissants, qui s’associent quelques cinq solistes vocaux, nous invitent au Palais de Babylone où vivre en musique la chute du présomptueux et cruel Belshazzar, près de six siècles avant Jésus-Christ. Après son désormais célebrissime Messiah, le compositeur se penche sur un drame biblique sans intrigue qui s’accomplit dans le mystère, quand bien même fut-il en partie guerrier. En travaillant une nouvelle fois avec Charles Jennens, il s’avère fidèle au talentueux librettiste qui concoctait pour lui ce même Messiah l’année précédente, mais encore Israel in Egypt et Saul, sans oublier la passionnante pastorale de 1740, L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato. De ce Belshazzar HWV 61 Jennens puise la matière dans Xénophon, Hérodote et, bien sûr, l’Ancien Testament (Livre de Daniel, V). En grand génie qu’il est, Händel magnifie le potentiel théâtral du texte pour en rendre plus prégnant encore l’impact moral (car il s’agit bien là d’une leçon de morale, n’en doutons pas).

Nitocris « ouvre le feu », si l’on peut dire. Nous retrouvons le soprano Rosemary Joshua dans ce rôle de mère inquiète, d’abord assez fermement servi, puis moins sûrement et bientôt dans cet appui volontiers geignard qu’on connaît à l’artiste – une sorte de tic qui fait trembloter la ligne vocale et nasaliser un brin son émission. Plus on avance dans l’exécution, moins le soprano satisfait, dans le même temps qu’inversement l’alto bonifie sensiblement ses interventions : d’abord un rien éteinte dans le médium, Caitlin Hulcup assouplit peu à peu son chant, prend de l’assurance, « reprend des couleurs », si vous voulez, jusqu’à la grandiose invocation Gread God ! Who, yet but darkly known (Acte I) puis, mieux encore, l’héroïque Oh God of Truth (II), somptueux.

Si l’on salue positivement les deux choristes qui ponctuellement empruntent ici le chemin solistique – sonorité ronde du ténor clair Jean-Yves Ravoux (Aroch) et basse confortable de Geoffroy Buffière (Messager) –, Jonathan Lemalu propose un Gobrias plutôt lointain et pas toujours très exact. En revanche, deux voix masculine font véritablement merveille. Ainsi d’Iestyn Davies qui offre une présence évidente autant que simple au prophète Daniel. Apprécié cet été dans Solomon à Versailles [lire notre chronique du 26 juin 2012], le contre-ténor s’avère ici d’une autorité confondante dans un chant précisément conduit, formidablement gracieux sans en avoir l’air. Enfin, le rôle-titre est avantageusement confié au ténor britannique Allan Clayton : impact direct, impédance indiscutable qui « colle à la peau » de ce Belshazzar sans limites, art sûr de la vocalise, sans jamais « pointer » l’aigu, tout lui sied parfaitement.

C’est d’un grand ton que William Christie articule la Sinfonia initiale de cet oratorio en trois actes. Sans déroger à une vivacité qui semble ne devoir s’épuiser jamais, il dessine un relief soutenu à son exécution, sans céder à ses propres facilités : ainsi médite-t-on sous sa battue un texte édifiant, sans solennité superflue ni sophistication sonore trop « plastique ». De fugues en Alelluia entrelaçant l’Amen, le chef porte haut ce concert, jusqu’à l’ultime chœur en decrescendo magistralement conduit. Outre d’un chœur irréprochable qu’il sait inspirer, il dispose d’un orchestre dont il a fait le mortier, mais encore d’une partition qui s’impose comme une bénédiction à la ciselure délicate – pensez au saisissant a cappella de Recall, oh King ! Thy rash command, par exemple, ou au fugato conclusif du I, à la joie chorale toute guerrière de l’acte médian (une constante händélienne), à cette autre fugue qui le clôt, à la plainte de violon solo sur l’aria suppliant de Nitocris (III), etc.

Nous quittons ce moment de grâce dans le rêve d’une certaine toile de Rembrandt…

BB