Chroniques

par richard letawe

Beethoven, Brahms, Reger et Schubert
autour de Peter Laul

Festival Juventus / Théâtre, Cambrai
- 9 juillet 2007
Graf Mourja joue le rare Prélude et fugue en ré mineur Op.117 n°6 de Max Reger
© dr

Cette soirée du Festival Juventus est centrée autour du pianiste Peter Laul, originaire de Saint-Pétersbourg, lauréat de l'édition 2000. Un récital de l'artiste en occupe la première partie. Laul attaque bille en tête la Sonate en ré majeur Op.10 n°3 de Beethoven, dans un tempo rapide qu'il ne relâchera jamais au cours d'un premier mouvement impressionnant de force et de vivacité. Vient ensuite le Largo e mesto, cœur expressif de l'œuvre, dont il traduit justement la gravité, en adoptant une allure plus retenue mais fluide qu'il laisse se dérouler avec patience. Le court Menuet est un peu raide, mais l'Allegro final retrouve le juste fil, porté par des doigts très prestes, sûrs et jamais « cogneurs ». Ce jeu enlevé, solide et musclé ne cherche pas la complication, va droit au but, aidé par une sonorité sombre, ronde et corsée.

Son interprétation des Drei Klavierstücke D.946 de Schubert reprend la même recette et impressionne par la rigueur, le contrôle et la carrure, assumant parfaitement la longueur et les difficultés, aussi bien pianistiques que de concentration, de ces pièces qui figurent parmi les dernières du compositeur. Cependant, ce jeu droit et sérieux manque un peu de subtilité, de nuance et de variété. Le son est toujours le même, lestempi semblent implacables ; l'on aimerait de temps à autre un peu plus de souplesse, pouvoir souffler et contempler la beauté des développements, plutôt que d'être emporté par ce tourbillon. Solide et vigoureuse, la vision en impose par la maîtrise de l'interprète, mais n'émeut guère.

Après l’entracte, Graf Mourja fait son entrée pour le Prélude et fugue en ré mineur Op.117 n°6 de Max Reger [photo]. C'est une œuvre académique et sèche dans laquelle une fugue rébarbative, semblant avoir été composée au mètre, succède à un prélude passionné mais conventionnel – une découverte un peu décevante dans ce festival au répertoire souvent rare et original. La soirée se termine par la réunion d'un des ensembles les plus marquants qu'il ait engendrés : Peter Laul au piano, Graf Mourja au violon et Françoise Groben au violoncelle. Ces musiciens qui ont beaucoup joué ensemble (à Cambrai ou ailleurs) forment un trio désormais bien installé qui entame sa carrière discographique par l'enregistrement complet desTrios de Brahms dont le premier volume est paru l'année dernière (Intégral). Du compositeur, ils donnent ici une version musclée et épique de l'Opus 101 en ut mineur.

Le premier mouvement est attaqué avec une violence exacerbée qui pourrait sembler exagérée si nos jeunes musiciens ne mettaient dans leur engagement tant de fougue et de sincérité. Le contraste entre cet Allegro energico rude et pathétique et les deux épisodes suivants est saisissant. Le Scherzo, noté Presto non assai, est d'une finesse de trait remarquable ; son caractère fantasque et inquiétant est rendu avec subtilité. Ils livrent ensuite un Andante grazioso mobile, entre le lyrisme simple et pacifique du thème principal, au climat un peu irréel, et un îlot central plus fiévreux. On retrouve cette fièvre dans la dernière partie, Allegro molto tourmenté par les mêmes vigueur et engagement, avant une coda triomphale enfin optimiste.

Avec cette interprétation tendue et puissante, aux sonorités austères, sans concession, le trio Groben, Laul, Mourja – auquel il ne manque plus qu'un nom ! – a impressionné le public. Toujours aussi nombreux, celui-ci s’est montré attentif et passionné, faisant à sa façon honneur au festival.

RL