Chroniques

par hervé könig

Bartók, Kodály, Lutosławski et Penderecki
Valery Sokolov, Orchestre Philharmonique de Radio France, Rafael Payare

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 14 octobre 2016
le violoniste Valery Sokolov joue Bartók avec le Philhar' et Rafael Payare
© simon fowler

Non, les équipes varsovienne et pestoise ne s’affronteront pas sur la pelouse de la maison ronde, nulle baballe ni souliers à crampons, encore moins de culottes de satin courant sur le plateau. L’Auditorium accueille son Orchestre Philharmonique de Radio France dans un match exclusivement musical qui, plutôt que de les confronter, associe les compositeurs hongrois et polonais du XXe siècle en plaçant leurs œuvres sous la direction du jeune chef vénézuélien Rafael Payare (trente-cinq ans) – et s’il faut mêler quelque notion géoclimatique, disons qu’ici le chaud vient souffler sur le froid. Loin de la fabrique à baguettes qu’est désormais la tierra de gracia, c’est dans une localité marquée par la culture populaire que nous invite Payare : la petite ville de Galánta, aujourd’hui slovaque mais hongroise jusqu’au Traité de Versailles (1918), puis encore entre 1938 et 1945, à la suite du Wiener Schiedsspruch.

Bien que né dans la grande plaine méridionale, au sud-est de Budapest, Zoltán Kodály vécut dans cette ville (son père y travaillait aux chemins de fer impériaux) de l’âge d’un an jusqu’à huit. Il s’en souvint avec affection quand il composa en 1933 ses fameuses Danses de Galánta créées par le Budapesti Filharmóniai Társaság Zenekara à l’automne de la même année. À parler froid ou chaud, c’est plutôt la première couleur qui domine la lecture de ce soir, à tel point qu’on ne reconnaît plus même l’œuvre programmée. Le motif introductif est curieusement étiré jusqu’à la guimauve d’une scène amoureuse de western-navet. Jamais, à notre souvenir, cette musique a sonné aussi peu tonique, brouillonne et terne – on en tousse de dépit ! Et quand les fifres ne sont pas mous, voilà qu’ils se font mièvres… Passons. Mieux encore : rêvons de l’excellent Vladimir Jurowski aux Proms, cinq ans plus tôt.

En mars 1939, le virtuose Zoltán Székely créait au Concertgebouw d’Amsterdam le Concerto pour violon Sz 112 n°2 qu’il avait commandé à Béla Bartók. C’est aujourd’hui le violon généreux et agile de Valery Sokolov [photo] qui enchante le lyrique Allegro non troppo, malgré l’incohérence brutale de l’approche du chef. Aussi efficient soit-il, le soliste a beau faire : sans partenaire à sa hauteur, son interprétation ne parvient pas à s’élever autant qu’on l’attendait – en d’autres termes : Sokolov est moins bon que Payare est mauvais, dommage. Seule alternative : se réfugier dans le très beau son du violoniste, comme s’il s’agissait d’une improvisation brillante et non de l’opus bartókien, lui aussi méconnaissable. Qu’est-ce que c’est que cette chanson à l’eau-de-rose en guise d’Andante ? Quelque emprunt à un soap dispensable, peut-être. Pire encore : un final militaire. Grande est la tentation de rentrer chez soi, n’était la bénédiction d’un Caprice de Kreisler en guise de bis – et en solo, ouf !

À partir de son Trio à cordes de 1991, Krzysztof Penderecki inventait l’année suivante la Sinfonietta n°1 pour cordes (la deuxième,pour clarinette et cordes, viendrait en 1994). Il faut saluer la prestation superlative d’Hélène Collerette (violon) qui ouvre une exécution un peu plus probante que ce qu’entendu en première partie, d’une page qu’à l’aveugle on daterait de la même période (avant-guerre). Enfin, le Concerto pour orchestre de Witold Lutosławski – et non pas Henrik Lutosławski comme imprimé dans la brochure de saison de Radio France (mais à relever les trop nombreuses erreurs de ces publications officielles, c’est une Encyclopédie de l’incompétence institutionnalisée qu’on éditerait, tâche infinie s’il en est). Entre 1950 et 1954, le compositeur polonais conjugue les sources folkloriques nationales, et en particulier les mélodies de Kurpie, dans une pièce en trois mouvements créée à Varsovie en novembre 1954 par Witold Rowicki à la tête de l’Orkiestra Symfoniczna Filharmonii Narodowej. Rafael Payare se révèle soudainement inspiré dès l’Intrada, quoique toujours sur la réserve quand l’œuvre nécessiterait une dimension plus vaste. Les Caprices et Airs centraux surprennent même. Enfin, le dernier mouvement (Passacaglia, toccata a corale) conclut au mieux une soirée mal commencée : précision, tonicité et musicalité ont finalement franchi les portes de l’Auditorium. Grâce à cette séquence miraculeuse et au bis savoureux de tout à l’heure, l’on se dit qu’il n’était tout de même pas inutile de se déplacer de la Porte Dorée jusqu’ici, allons.

HK