Chroniques

par laurent bergnach

concert-vidéo Bang on a Can All-Stars
pièces de Byron, Dreyblatt, Gordon, Lang, Moore, Reich et Wolfe

Théâtre de la Ville, Paris
- 13 juin 2005
concert-vidéo Bang on a Can All-Stars au Théâtre de la Ville, en 2005
© peter serling

À la fin des années quatre-vingt, trois jeunes compositeurs new-yorkais, Julia Wolfe, David Lang et Michael Gordon, montèrent un festival qui devait promouvoir leur propre musique, celle de leurs proches, et celle dont ils se sentaient redevable, entre rock britannique et minimalisme américain. À partir du succès que rencontra l'entreprise, un ensemble de six musiciens vit le jour en 1992, afin d'effectuer des tournées : le Bang on a Can All-Stars.

Pour son troisième passage parisien au Théâtre de la Ville, l'ensemble actuel ouvre le concert avec une pièce de Julia Wolfe, qui nous renseigne immédiatement sur la qualité de ses membres. Lick (1994), débute avec une série d'attaques successives à l'unisson, contrastant avec les silences qui les séparent. En moins d'une minute, nous découvrons ce qui fera le succès de cette prestation : maîtrise et énergie. « Pour composer une pièce et ne pas seulement faire du bout à bout, dit la créatrice, il faut moins s'attacher à chaque moment, prendre du recul et laisser la musique vous mener où elle l'entend. C'est une drôle de combinaison d'intuition et de construction. Dernièrement, je recherche davantage la puissance du son. » Effectivement, pas de pianissimi pour ces instruments amplifiés, mais un emballement qui conduit au chaos final.

Avec Heroin, extrait de Songs for Lou Reed, David Lang rend hommage à la poésie du Velvet Underground, mais aussi à leur musique si puissante, si viscérale et mystérieuse. D'une voix légèrement éraillée, le clarinettiste Evan Ziporyn chante tandis qu'un immense écran carré, en fond de scène, livre les images vidéo de Doug Aitken. Dans une lumière très douce, des corps sont saisis dans leur sommeil, avec des gros plans sur les mains, ou sur des yeux lorsque le réveil s'annonce. Des images de parking, d'océan, de fils électriques, s'intercalent avant que tous se relèvent de leur lit, de leur tapis, de leur canapé.

Troisième membre fondateur au programme, Michael Gordon est un explorateur de la nature du rythme et un défenseur du spectacle multimédia. Sa pièce Light is calling représente un des plus beaux moments de la soirée. Alors que des accords percussifs et répétitifs structurent l'œuvre, rejoint par la mélodie presque asiatique du violoncelle de Wendy Sutter, la vidéo deBill Morrison accompagne cette transe d'images kaléidoscopiques : des bouts de pellicules brûlés, aux tons sépia et grenat, laissent entrevoir parfois le visage souriant d'une jeune fille, celui d'un militaire à cheval, tirés d'un vieux film. C'est esthétiquement superbe et poignant émotionnellement.

Retour à une musique résolument urbaine avec Escalator (1995) d’Arnold Dreyblatt, issu de la seconde génération des compositeurs minimalistes. « Son point de départ est l'enregistrement des rythmes produits par plusieurs escalators en dysfonctionnement […] effectués en 1987 sur le boulevard Ansbach à Bruxelles. » Après une longue minute passée à s'accorder, les interprètes livrent un nouveau morceau plein d'énergie, mais assez monotone. La contrebasse de Robert Black fait entendre ces couinements métalliques nous ramenant à la genèse de l'œuvre.

Pour Piano Phase / Video Phase qui démarre la seconde partie du programme, David Cossin vient s'asseoir derrière un petit écran tendu. C'est d'une façon fort originale qu'il va offrir au public la pièce de Steve Reich, écrite en 1967 : alors qu'un film nous le montre en train de démarrer l'œuvre sur des percussions MIDI verticales, déclenchant des notes échantillonnées de piano, Cossin joue en direct, derrière sa silhouette en noir et blanc, les décalages progressifs typiques des premières recherches du compositeur. D'avoir rendu spectaculaire une partition pour piano – visuellement neutre – est une belle idée, et le terme de performance sera employé à juste titre pour saluer son interprète.

Comme il l'a fait pour la plupart des précédentes, Evan Ziporyn présente la dernière œuvre à utiliser le support vidéo. Rappelant que les souvenirs de tout petit américain met en jeu la télé, il évoque le comique Ernie Kovacs (1919-1962) qui tout au long des années cinquante est apparu dans un show « amazing and strange ». Nous découvrons alors ce personnage muet, entre Charlot et Mr Bean, étonné par les univers buñueliens qu'il traverse, de sketch en sketch. Quand la mère de Don Byron commença à souffrir de la maladie d'Alzheimer, Eugene (2000) a été un moyen d'associer sa musique à des images heureuses du passé.

Cofondateur du groupe Sonic Youth, Thurston Moore livre avec Stroking Piece # 1 un morceau dynamique, mais qui nous séduit moins que le bis offert – arrangement de l'Étude pour piano 3a de Conlon Nancarrow – qui mettra en valeur la virtuosité des membres de l'ensemble déjà évoqués, ainsi que celle de Cristina Valdes au piano et de Mark Stewart à la guitare électrique.

LB