Chroniques

par gilles charlassier

autour des frères François et Louis Francœur
récital Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor

L’Offrande musicale / Abbaye Saint-Savin
- 5 juillet 2022
Le violoniste Théotime Langlois de Swarte en récital avec Justin Taylor
© dr

Initié en 2020 par David Fray entre deux confinements, avec une première édition 2021, L’Offrande musicale est un festival conçu comme un geste d’ouverture, non seulement artistique, en termes de diversité de la programmation illustrée par le cru 2022, mais également envers une audience éloignée des salles de concert, parce qu’elle est en dehors des grandes métropoles, mais aussi – et surtout – en raison de son handicap. Au delà de l’engagement de réserver une partie de la billetterie à ces spectateurs généralement isolés dans des actions spécifiques qui les maintiennent dans l’invisibilité, les propositions à leur destination sont inscrites au cœur d’un programme qui fait le pari que l’art et la culture sont à la portée de tous, sans nécessiter que le contenu cède à des compromissions – cette démarche a été récompensée cette année par le Prix de la meilleure initiative pour le développement et le rayonnement musical du Syndicat de la critique.

Donné en la charmante Abbaye de Saint-Savin-en-Lavedan (dans les environs de Lourdes), ornée d’un des plus anciens orgues de France, le récital qui réunit Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor témoigne de cette authenticité, les deux solistes ayant par ailleurs accepté, suite à une accidentelle confusion d’horaire, de reprendre le programme prévu l’après-midi pour le public des institutions spécialisées.

Le menu de duos pour violon et clavecin concocté autour des frères Francœur s’ouvre sur l’intériorité du Prélude en sol mineur n°2 de Du Buisson (Jean Lacquemant, ca.1622-1680) dont la ligne de chant, aux cordes pincées, introduit celle de l’archet dans la Sonate en sol mineur n°6 de François Francœur (1698-1787). À partir d’un Adagio introductif empreint d’une noblesse de sentiment exsudée par un violon nourri mais sans pesanteur aucune se déploient les séductions allantes d’une Courante prolongée par un Rondeau. Ponctuant régulièrement le florilège, le clavecin fait respirer en solo la poésie des Barricades mystérieuses en si bémol majeur de Couperin, avant une authentique page à quatre mains des Francoeur, suite concoctée à partir de divers ouvrages de François. Tiré de la Sonate pour violon et basse continue en sol mineur n°6, le Largo distille une sensibilité tendre, voire songeuse, avant le pittoresque Rondeau extrait de Tarsis et Zélie, puis les rythmes du Tambourin de Scanderberg. La vitalité modulatoire de La marche des Scythes (Pièces pour clavecin, Livre I, n°14) de Pancrace Royer (1703-1755) introduit un kaléidoscope de saveurs contrastées de François Francoeur, entre la Gavotte pour les Muses et les Plaisirs puisée dans Le Trophée, le Deuxième air de Tarsis et Zélie et laSonate en sol majeur n°10 du Livre I. Le sens du caractère s’affirme également dans la Sonate en mi mineur n°3 de Louis Francœur (1692-1745), depuis l’Adagio liminaire jusqu’aux textures du violon dans la Courante, en passant par la fluidité du clavecin dans l’Allemande.

Léguant avec naturel le chant à l’archet, auquel répond comme sur un pied d’égalité la trame du clavecin, la transcription inspirée de Music for a while de Purcell amorce une liberté envers les amarres de la Régence (et du début du règne de Louis XV) que confirme, également sous le dais anglais, la Sonate en sol mineur d’Henry Eccles (1670-1742), avant une conclusion éminemment européenne avec la Sonate La Folia Op.5 n°12 de Corelli. Plus que la virtuosité du resserrement des variations, c’est d’abord son expressivité foisonnante que ramasse le duo dans une lecture vivante exempte de toute exhibition gratuite. En offrant Les sauvages de Rameau en ultime bis, les artistes referment la boucle française d’un programme livrant un condensé d’un pan du paysage musical de la première moitié du Siècle des Lumières.

GC