Chroniques

par bertrand bolognesi

autour de Betsy Jolas
œuvres d’Amy, Dutilleux, Jolas, Lassus et Schütz

Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Paris
- 12 mars 2016
la salle d'orgue du CNSMD de Paris – photo ©BertrandBolognesi 2016
© bertrand bolognesi

En amont de la création d’Iliade l’amour, nouvelle mouture de l’opéra Schliemann (Lyon, 1995), dans la Salle d’art lyrique ce soir même, le CNSMD propose un voyage dans l’œuvre chambriste de Betsy Jolas, dont tout récemment nous entendions Music to go, court duo de 1995 [lire notre chronique du 28 février 2016]. En Salle d’orgue, auditeurs et jeunes musiciens sont invités dans un univers intime, volontiers doux, parfois tendre, parcouru d’hommages et d’adieux.

Dans l’institution française, la compositrice est une figure importante, puisqu’une quarantaine d’années plus tôt elle y succédait à Olivier Messiaen (classes de composition et d’analyse). Loin des querelles de clochers, Jolas édifia son œuvre dans un rêve de continuité des temps, prenant souvent appui sur les polyphonistes du XVIe siècle. Au fil des ans se déploie une véritable fascination pour la voix humaine, aussi bien dans les pages qu’elle lui dédie que dans les pièces instrumentales où elle la fait entendre comme un heureux spectre omniprésent. Tout en témoignant de cette facture ô combien personnelle, le présent programme évoque amis et complices.

Ainsi d’Henri Dutilleux, dont on fête le centenaire.
Outre Trois strophes sur le nom de Sacher (1976) qui, sous l’archet scrupuleux et avantageusement inspiré de Florian Pons, ouvre le concert dans une version qui en souligne des aspects plus radicaux – avec les Trois préludes pour piano et le quatuor Ainsi la nuit, une certaine hardiesse était à l’œuvre, à l’inverse des complaisances du catalogue orchestral et concertant –, Jonathan Radford (saxophone) et Alexandre Fougeroux (violoncelle) donnent Un post-it pour Henri – in memoriam Henri Dutilleux de 2015, en brève souvenance. Lorsque le 24 novembre 1992 disparaît son ami l’organiste et compositeur Xavier Darasse, « patron » du CNSMD depuis l’année précédente, Betsy Jolas écrit cinq minutes en trio (clarinette en si bémol, saxophone ténor et violon). Crée le 25 juin 1993, Musique pour Xavier prend des atours de plainte antique, d’une âpreté affligée, parfaitement rendus par Joséphine Besançon (clarinette), Evgueni Novikov (saxophone) et Malika Yessetova (violon). Le 22 mars 2015, la musicienne offrait à Pierre Boulez un cadeau d’anniversaire, quelques jours avant ses quatre-vingt dix ans. Malheureusement souffrant, son aîné d’un an n’avait pu venir écouter Ravery / à Pierre en ce jour, que créait le violoncelliste Marc Coppey, à la Cité de la musique.

« Forgé par Joyce à partir de deux mots anglais, le verbe rave (porter aux nues, s’extasier) et notre propre mot rêverie (conservé depuis des siècles dans la langue anglaise, mais plutôt au sens de méditation), ce néologisme magique m’a semblé pouvoir désigner […] en quelque sorte la “face cachée” de Pierre Boulez » (brochure de salle). Caché, oui, comme en cette cérémonie du 14 janvier, en l’église Saint-Sulpice, sublimant la choséité de la mort par une subversive absence. C’est aussi Coppey qui chante aujourd’hui ce qui pourra sembler offrande, après que deux mois en aient ourlé l’éclipse.

Fondé par Boulez en 1954, le Domaine musical jouait en 1964 la première du Quatuor n°2 (soprano et trio à cordes). En 1966, Gilbert Amy, qui succèderait à sa tête l’année suivante et pour sept saisons, dirigeait la cantate Dans la chaleur vacante en radiophonique, puis J.D.E avec le Domaine, la création D'un opéra de voyage étant confiée ensuite à Michael Gielen dans le cadre du Festival international d'art contemporain de Royan (1967). En 1970, c’est encore Amy qui mène le Domaine pour Lassus ricercare. Quoi de plus naturel que de convier un bon compagnon ? Initialement conçu pour hautbois, Jeux de Gilbert Amy (1973) s’inscrivait dans l’expérience de l’œuvre ouverte où l’interprète avait à prendre des décisions induisant une marque franche sur sa réalisation – elle « était même conçue pour être jouée éventuellement pas quatre instrumentistes simultanément », précise l’auteur. En janvier 2012 était révélée une nouvelle version pour saxophone soprano, tenant compte des nouveaux acquis en matière d’attaque, de production du son en général (comme la brève multiphonique conclusive). Nous applaudissons Antonio García Jorge qui navigue sur cinq pupitres facétieux.

Paris, 1949. Le mezzo-soprano Noémie Perugia et Claude Helffer au piano donnent naissance à Plupart du temps I (1949) qui emprunte six poèmes à Pierre Reverdy. Quatre décennies ont passé lorsque la compositrice se replonge dans ce cycle d’autrefois. La rencontre fait surgir Plupart du temps II pour ténor, saxophone ténor et violoncelle (1989), en un seul mouvement. La voix extrêmement claire, présente et veloutée de Fabien Hyon le fait ici découvrir. L’on ne dira pas d’Evgueni Novikov et de Christophe Ellis qu’ils « l’accompagnent », les parties de saxophone et de violoncelle n’étant en rien subalternes dans cet opus infiniment sensible. On aurait du mal à dresser liste des pages inspirées à Jolas par celles de ses grands aînés, qu’elles les intègrent et/ou les fécondent ou qu’il s’agisse de transcription. Ce moment auprès d’elle offre deux des Cantiones sine textu de Roland de Lassus adaptées, dans une moelleuse volubilité, pour saxophone soprano et clarinette (Jonathan Radford et Masako Miyako), puis Eine kleine Schütz music, suite de quatre psaumes d’Heinrich Schütz (1628) revisités en 1996 pour clarinette, saxophone, violon et violoncelle (aux mêmes musiciens s’ajoutent Malika Yessetova et Alexandre Fougeroux).

BB