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Chroniques
Atys, tragédie en musique de Jean-Baptiste Lully
version de concert
Explorateur passionné et interprète inspiré de l’œuvre de Jean-Baptiste Lully, Hugo Reyne dirige, pour deux soirs, sa version du célèbre Atys dont la production donnée à Favart, il y a vingt-deux ans, n’aura pas peu contribué au grand enthousiasme qui porte aujourd’hui mélomanes et musiciens vers le répertoire baroque français. Alors que l’on fêtait le tricentenaire de la mort de Lully, Jean-Marie Villégier signait une mise en scène résolument somptueuse de cette tragédie en musique (créée en janvier 1676 à Saint-Germain-en-Laye) dont l’orchestre était conduit par William Christie, un orchestre où déjà œuvraient des artistes qui, depuis, ont tracé leur propre chemin, qu’ils s’appellent Marc Minkowski, Hervé Niquet, Christophe Rousset ou Hugo Reyne, précisément.
À la tête de sa Simphonie du Marais, c’est un Atys sainement articulé que le chef propose au public rassemblé dans la cour du logis vendéen, sans ses fastes d’hier et d’avant-hier, puisqu’il s’agit d’une exécution de concert, comme cela se faisait régulièrement en son temps, à la demande du roi. Malgré des conditions climatiques hasardeuses – le ciel offrait une méchante bruine jusqu’à l’heure du goûter, c’est dire si l’humidité des deux tiers du jour, mariée à celle de la nuit tombante, aurait pu mettre à mal les instruments et leurs officiants –, l’orchestre s’annonce d’une grande tenue, dès les premiers pas du Prologue, une tenue que quelques trois heures trente de musique ne sauront démentir. Outre une scrupuleuse fidélité tant à la lettre qu’à l’esprit, Hugo Reyne dessine la dramaturgie de l’œuvre d’un pinceau sensible, sans pour autant faire un sort à chaque intention : beaucoup moins qu’une représentation et un peu plus qu’un concert (juste de quoi inviter notre imagination au théâtre), voilà le dosage finement équilibré dans lequel est savamment maintenue la soirée.
Encore fallait-il réunir les voix requises.
Dès l’abord, nous voilà rassurés par des choix de distribution judicieux. Après un Temps irréprochable, la basse Matthieu Haïm campe un Idas attachant, assumant sans emphase la préciosité de l’écriture vocale, préciosité qu’il rend naturelle par la paradoxale simplicité de sa déclamation dont le souffle très long est l’allié dévoué ; on le retrouve plus tard en Dieu du fleuve Sangar et, surtout, en Phobétor – nous en reparlerons. Le plaisir est toujours au rendez-vous lorsqu’il s’agit d’entendre le dessus Vincent Lièvre-Picard qui, ce soir, se distingue par l’élégance notable et l’extrême clarté de son chant, particulièrement présent : tout à la fois léger et prégnant, comme un Zéphyr (Prologue). Le Célénus du jeune baryton Aimery Lefèvre n’est pas en reste : généreusement projeté, le timbre solide et l’émission ferme, voilà bien de quoi servir au mieux le rôle du roi, plus assuré encore après l’air des songes (Acte III).
Quant au rôle titre, c’est à un artiste que nous saluions il y a deux ans dans un ouvrage de Cavalli [lire notre chronique du 3 mai 2007] qu’il est avantageusement confié : Romain Champion mène magnifiquement son Atys, abandonnant bientôt le rien d’ampoule qui domine les premières scènes de l’Acte I jusqu’à décoiffer la rigueur du dispositif dit « de concert »par un bel investissement dramatique. Enfin, ces bons messieurs conjuguent leurs talents dans le quatuor des songes, d’une exquise tendresse – une pure merveille, tant dans l’écriture que dans la réalisation ici proposée.
Du côté des dames, si Maud Ryaux (Iris, puis Doris) accuse une diction assez laborieuse et une vocalité un brin confidentielle, on apprécie l’excellente Mélisse de Maïlys de Villoutreys. Venant remplacer une défection tardive, le soprano Bénédicte Tauran se doit d’assumer, en à peine quelques jours de répétition, la partie de l’amoureuse Sangaride – de fait, quel personnage n’est-il pas amoureux dans Atys ? – dont elle s’acquitte parfaitement. Un peu en retrait en Flore du Prologue, elle s’affirme dans l’impossible objet du désir atysien grâce à un sens remarquable de la nuance, conduisant l’écoute sur le fil de l’émotion. Melpomène relativement maladroite dans le Prologue, le mezzo Amaya Dominguez laisse s’élever toute la plénitude de sa voix, onctueuse, riche et expressive, en Cybèle, dotant la déesse d’un charisme rare.
À cette fête vocale répond, pour finir, un fastueux feu d’artifice, qui cisèle La Chabotterie dans l’éclat de ses lumières comme dans le mystère de ses fumées, rythmé par quelques extraits des Concerts de Rameau enregistrés dernièrement par La Simphonie du Marais et Hugo Reyne, en résidence ici-même (CD Label Musiques à la Chabotterie).
BB