Chroniques

par katy oberlé

Attila
opéra de Giuseppe Verdi

Teatro Comunale Luciano Pavarotti, Modène
- 7 février 2017
à Modène, Enrico Stinchelli met en scène le rare Attila de Giuseppe Verdi
© rolando paolo guerzoni

Dans le catalogue verdien, Attila n’est pas des opus les plus représentés, loin s’en faut. Après Oberto, Nabucco et Giovanna d’Arco, il est, en 1845, le quatrième et le dernier fils de la collaboration entre le compositeur et Temistocle Solera, commencée six ans auparavant. Impressionné par la tragédie du Prussien Zacharias Werner (1809), Verdi rédigea lui-même le scénario. Contrairement au dédain dans lequel on la tient aujourd’hui, après le succès retentissant de sa création, cette pièce devait être son chef-d’œuvre, c’est du moins ce qu’il croyait. Pour cela, il suivit de près l’écriture du livret, mais Solera en repoussait toujours la livraison. En définitive, il s’en est débarrassé et, de prime abord, le musicien s’en satisfit. Programmé à La Fenice, Attila a beaucoup préoccupé Verdi qui donna des directives très précises au décorateur et au costumier, dans le souci que son grand opéra historique fit son effet. Que souhaite-t-il ? Exciter la vindicte patriotique. L’opéra triompherait à Venise, le 17 mars 1846, et sur toutes les scènes qui le montèrent dans les mois suivants. Passé le premier enthousiasme, l’auteur demanda à Francesco Maria Piave, qui avait conçu les textes d’Ernani et d’I due Foscari en 1844, de réviser le livret, fâchant définitivement Solera.

Dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Giuseppe Verdi, le théâtre éponyme de Trieste confiait à Enrico Stinchelli une nouvelle production d’Attila. LeThéâtre Communal Luciano Pavarotti de Modène la reprend pour deux représentations, dans cette cité même qui invoqua Saint Géminien (son évêque protecteur, disparu à la fin du IVe siècle) lorsque le redoutable chef des Huns la menaçait, en 1451, entre la prise d’Aquilée et celle de Milan : la légende veut qu’il arrêta l’invasion par un brouillard épais qui dissimula Modène – le personnage d’Attila est donc lié historiquement à la ville. Enrico Stinchelli recourt à la société maltaise Mad About Video pour réaliser une synergie gagnante qui fait mesurer cette verve épique du genre lyrique, précurseur du cinéma à grand spectacle. Quelques éléments de décor, assez épars, gagnent une autre dimension grâce à la vidéo qui dépeint des atmosphères grandioses. De même que les costumes, très efficacement péplum, ils sont signés Pier Paolo Bisleri. Le principe scénographique tient lieu de mise en scène, exclusivement illustrative. On ne saurait en faire un reproche : la consistance des personnages habitant essentiellement la voix, une direction d’acteur et une approche plus psychologique sont largement dispensables.

À la tête de l’Orchestra dell'Opera Italiana et du Coro della Fondazione del Teatro Comunale di Modena (dirigé par Stefano Colò), Aldo Sisillo mène la fosse avec prudence. Hors de question de couvrir les voix, avec ce chef très attentif qui sait profiter de l’acoustique excellente. L’exécution n’est pourtant pas routinière, précaution nuisant rarement, il faut le dire. Bref, c’est préférable aux mèches folles et autres baguettes batailleuses qui embrouillent les chanteurs en jouent des symphonies de sous-sol.

La douceur du timbre étonne d’abord, pour le rôle-titre. Mais l’expressivité sincère, maintenue, et le chant fidèle de Carlo Colombara vont vite convaincre. Son Attila n’est pas qu’un stratège inflexible, ce fameux fléau de Dieu qui hante l’imaginaire collectif : il prend appui sur la musique pour se montrer humain. Par contre, Svetlana Kasyan (soprano) manque nettement de technique dans la vengeresse Odabella, et la voix n’est pas du tout homogène. Le ténor espagnol Sergio Escobar possède une couleur flatteuse et maîtrise bien sa projection, mais dès que le rythme s’emporte, le souffle vient à manquer à Foresto. Dans le rôle du pape Léon Ier le Grand, la jeune basse anglo-américaine John Paul Huckle révèle de bons moyens, parfaitement gérés, dont j’espère profiter bientôt dans une partie qui lui permette de s’exprimer plus. En esclave celte, Robert Carli (ténor) est irréprochable. La voix du baryton bulgare Vladimir Stoyanov est superbe : brillante, longue, endurante et solidement impactée. On adore son Ezio [lire nos chroniques du Trovatore et d’Otello] ! La salle aussi, qui l’ovationne chaleureusement.

KO