Chroniques

par laurent bergnach

Aperghis, Cattaneo, Mantovani et Ronchetti
quelques cantates d'aujourd'hui

Musica / Palais des Fêtes, Strasbourg
- 22 et 23 septembre 2006
le plasticien "brut" suisse Adolf Wölfli (1864-1930)
© dr

Diagnostiqué comme schizophrène, interné à Berne pendant trente-cinq ans, Adolf Wölfli (1864-1930) [photo] a donné son nom à une œuvre de Wolfgang Rihm (Wölfli-Lieder, 1982) avant que de trouver un nouveau porte-parole en Georges Aperghis, familier des angoisses et dérèglements humains. Cette figure énigmatique de l’art brut a laissé un riche matériau qui fascine à plus d’un titre : vingt-cinq mille pages grand format reliées dans des cahiers, comportant systèmes de notations, portées musicales, récits fantastiques, illustrations, collages, poèmes, dessins, écritures phonétiques, etc. Créé le 22 juillet dernier au Festival Eclats de Stuttgart, Wölfli Kantata est la première partition pour chanteurs solistes et chœur a cappella du fondateur de l’Atelier Théâtre et Musique, lequel explique :

« Cette cantate s’inspire du travail textuel et pictural d’Adolf Wölfli, et se propose de développer certaines pulsions qui s’y trouvent (remplissage excessif et compulsif de l’espace, énumérations de chiffres, inventaire, répétitions rituelles, détails agrandis inconsidérément, surchargés, détournés sans cesse de leur sens premier, polyphonies saturées, etc.) tout en gardant une distance, une harmoniequi canalisent ces débordements et proliférations. Il s’agit donc d’architectures, créant des espaces fictifs, parfois reconnaissables, se combinant entre eux d’une manière furtive et éphémère. Ces figures musicales essaient d’y trouver leur chemin comme dans un labyrinthe, puis finissent par tout envahir, abolissant ainsi le silence, instaurant un fonctionnement organique mais indolore ».

Construite en cinq mouvements – Petrrohl (déjà entendu en 2002), Die Stellung der Zahlen, Vittriool, Trauer-Marsch, Von der Wiege bis zum Graab –, l’œuvre, d’une profondeur rare, souvent incantatoire (fonction hypnotique de la scansion pianissimo), alterne parties à six voix solistes et parties de chœur, d’une écriture très dense. Qui aurait pensé croiser un jour le mot Amen chez Aperghis ? S’il est rarement serein, le compositeur, maître de sa langue au point de n’en revendiquer plus rien, est ici radicalement sombre. Accompagnés par le Südwestrundkunk Vokalensemble Stuttgart dirigé avec beaucoup de nuance et d’énergie par Marcus Creed (directeur artistique depuis 2003), les Neue Vocalsolisten démontrent, une fois encore, leur technique irréprochable.

Le lendemain, retour au Palais des Fêtes – qui n’a rien de « baroque », Madame Loyal… de même que le Champagne ou le Crémant du Jura ne font pas la fierté des Alsaciens ! –, avec nos solistes allemands. Bruno Mantovani présente Cantate n°1, datant de 2002 et réécrite cette année à la lumière de son travail pour l’opéra. Quelques musiciens de l’Ensemble 2e2m interviennent lors des passages chantés (en solo, trio de voix aiguës, trio masculins, etc.) ou pour des interludes. S'inspirant de onze poèmes de Rainer Maria Rilke, cette pièce d'une quarantaine de minutes porte en son titre la promesse de cantates à venir.

Avant cela, nous entendions Concertino (2001) pour trombone et ensemble, un travail séduisant sur le timbre et la couleur de l’italien Aureliano Cattaneo – qui prépare, apprend-t-on, un opéra sur le thème du Minotaure –, mais aussi Pinocchio, una storia parrallela (2006) de Lucia Ronchetti. Née en 1963, cette élève de Sciarrino, Grisey et Murail livre une pièce en madrigal pour quatre voix d’hommes, sur des textes de Giorgio Manganelli (1922-1990). Inspiré par le célèbre roman de Collodi paru en 1883, le membre du Gruppo 63 a écrit différents dialogues entre Pinocchio (Daniel Gloger, contreténor), Gepetto, le grillon (Martin Nagy, ténor), Mangefeu (Guillermo Anzorena, baryton) et la Mèche (Andreas Fischer, basse). Une section chorale s’élève également à créer des ambiances, tels les sons aquatiques sur le passage du Dauphin. Outre d’anecdotiques roulements de phonème pour le Grillon ou les bégaiements de peur, on s’attache au dynamisme et à la beauté du texte, de même qu’aux moments de tristesse du pantin, pleins d’émotion.

LB