Chroniques

par bertrand bolognesi

Antonio Vivaldi, prêtre et musicien
journée de clôture

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 12 octobre 2003
le chef italien Federico Maria Sardelli photographié par Enrico Amante
© enrico amante

Dans un festival, d’aussi grande qualité soit-il (tout étant relatif), il y a des hauts et des bas. Le concert de cet après-midi, dernier jour des cinq semaines vivaldiennes d’Ambronay, est à compter parmi les hauts. Il montre deux grandes facettes de l’activité du compositeur, du métier d’opéra à celui de musicien des ospedali, à travers quelques versets d’hymnes ou de psaumes, des airs et symphonies d’ouvertures pour le théâtre. Avec le Concerto en ré mineur RV536, le portrait serait presque complet.

La Sinfonia de l'opéra Arsiglia, Regina di Ponto ouvre les réjouissances par un premier mouvement à l’attaque un peu heurtée, comme on le constate souvent dans les lectures de Jean-Christophe Spinosi, mais avec des cordes nettement plus charnelles que les siennes, si bien que le son n’est jamais grêle et ne se perd pas. Le second épisode se fait résolument énergique, tandis qu’un fin équilibre s’installe au troisième, d’une sonorité exemplaire. L’orchestre Modo Antiquorévèle d’autant d’enthousiasme que de sensibilité.

Paul Agnew entre ensuite en jeu avec deux arie extraites du même ouvrage, données avec autant de fiabilité et de précision que de style, proposant des ornements joliment réalisés, tout en maniant son timbre avec souplesse. Comme chaque artiste, le ténor est certains jours plus en forme qu’à d’autres : aujourd’hui se veut un bon jour, à l’évidence. Le premier mouvement de l’ouverture d’Ercole sul Termodonte revêt dans une violence excitante – attention cependant de n’en pas arriver à des « écrasements »disgracieux –, enchaînant un Largo lumineux à la nuance infiniment dosée. Le poursuit par un air tiré de Tito Manlio auquel il offre avec une saisissante expressivité, et un extrait du même Ercole qui laisse goûter des vocalises fabuleusement maîtrisées et toujours musicales. Federico Maria Sardelli [photo] mène son orchestre vers écoute attentive de la proposition vocale pour servir avec bonheur cette page.

La seconde partie du concert s’articule selon un schéma comparable à la précédente, si ce n’est qu’une seule aria d’opéra y sera entendue avant que de faire la place à des œuvres d’inspiration religieuse. L’ouverture de Farnace bénéficie d’une interprétation contrastée, dans une certaine effervescence, pourrait-on dire, et d’une conduite de la dynamique toujours intelligente. L’air Gelido in ogni vena souffre d’un excès de préciosité venu de Paul Agnew qui d’emblée place ses interventions de deuxième partie en-deçà du début. Cela se confirmé dans Domine Deus Rex Celestis et Peccator Videbit qui ne parviennent jamais au recueillement sans garder le brio et l’évidence des premiers airs. En revanche, le Concerto en ré mineur pour deux hautbois, cordes et continuo RV535 s’avère absolument splendide. Modo Antiquoet Sardelli ont entrepris une grande collection discographique Vivaldi dont on retrouve l’autorité. Sans doute ce beau moment de musique trouvera-t-il place dans notre mémoire et notre cœur au côté de la soirée comparable donnée par Carmignola il y a trois semaines [lire notre chronique du 19 septembre 2003].

Tout a une fin… Le concert de clôture du Festival d’Ambronay convoque quelques amis de longue date à faire joyeusement de la musique : l’ensemble Elyma (que l’on ne présente plus) et son chef Gabriel Garrido. Le choix s’est porté sur quelques madrigaux spirituels et louanges sacrées de Claudio Monteverdi, sonnant particulièrement bien dans l’Abbatiale. On apprécie le timbre chaleureux et attachant du soprano Adriana Fernandez, bien que quelques intervalles descendants ne connaissent pas systématiquement le bonheur d’être tout à fait justes. Elle termine ce concert la soirée par un Pianto della Madonna fort émouvant, dans une grande simplicité.

La chanteuse forme de beaux ensembles, principalement avec le contreténor Philippe Jaroussky que l’on retrouve ici avec plaisir, et dans un cycle le mettant plus en valeur que le concert Gabrieli évoqué il y a tout juste un mois [lire notre chronique du 13 septembre 2003]. Leurs timbres s’équilibrent facilement, de même que ceux de Jaroussky et de Cyril Auvity, jeune ténor à la voix lumineuse et agile qui retient l’écoute par une musicalité sensible. De même la basse Tido Visser s’avère-t-elle à la fois sonore et nuancée, résolument vaillante. Tout cela irait bien ainsi… si ce n’est que quatre autres solistes sont associés à ce début de distribution qu’on croyait heureux, arborant des organes moins gracieux et un art souvent incertain.

Grâce à la personnalité de Gabriel Garrido, toujours remarquablement engagé à défendre la musique qu’il joue, l’exécution prend un certain envol et séduit un public qui lui est acquis. Reconnaissons pourtant que le niveau général des instrumentistes d’Elyma est indéniablement en-deçà de celui de la plupart des orchestres entendus en ces lieux. Il parait évident qu’avec un chef moins talentueux, le résultat risquerait de faire frémir. À l’inverse (et on le disait la veille), de bons musiciens peuvent faire pâle figure sous certaines baguettes – pourquoi n’imaginerait-on pas une excellente formation sous la férule d’une excellent chef ? chut... Des approximations trop fréquentes empêchent de partager le bel enthousiasme du public pour cette prestation. Par ailleurs, la seconde partie, interrompue assez péniblement par des applaudissements sympathiques, n’atteint jamais la spiritualité souhaitée, devenant vite ennuyeuse à quiconque n’a pas la chance de participer à l’engouement alentour.

BB