Chroniques

par bertrand bolognesi

Anton Bruckner | Symphonie en ut mineur n°8
Gustav Mahler Jugendorchester, Herbert Blomstedt

Frauenkirche, Dresde
- 24 août 2015
Huitième de Bruckner par Blomstedt en la Freuenkirche de Dresde, août 2015
© bertrand bolognesi

Depuis sa création il y a près de trois décennies, grâce à l’initiative de Claudio Abbado, le Gustav Mahler Jugendorchester a intensément marqué notre paysage musical par des interprétations souvent très investies. L’expérience de chefs prestigieux y rencontre chaque été l’énergie et l’engagement de la jeunesse, ce qui plus d’une fois donna lieu à des moments simplement extraordinaires – on se souvient des Kindertotenlieder par Christa Ludwig et le chef italien (Orange, 1990), de la Neuvième de Bruckner et de Caminantes… Ayacucho de Nono, toujours par Abbado (Paris, 1995), du Sacre du printemps par Boulez (Paris, 1997) et du Château de Barbe-Bleue par le même et dans la mise en scène de Pina Bausch (Aix-en-Provence, 1998), entre autres. Quant à Herbert Blomstedt, à la tête de cette formation il donnait des programmes Berg, Sibelius et Bruckner (Symphonie en si bémol majeur n°5) au printemps 2008, puis Beethoven et Bruckner (Symphonie en mi bémol majeur n°4 « Die Romantische ») au printemps 2013.

C’est une nouvelle fois au chef suédois qu’est confiée la tournée de l’été 2015 du Gustav MahlerJugendorchester, avec deux menus, l’un consacré à Mozart et à Dvořák, l’autre à la Symphonie en ut mineur n°8 d’Anton Bruckner – un compositeur décidément cher à son cœur, dont il grava une intégrale avantageusement inspirée des symphonies à la tête du Gewandhausorchester Leipzig dont il fut le directeur de 1998 à 2005. Après Bolzano et Lucerne ces derniers jours, Blomstedt retrouve Dresde dont il eut en charge la fameuse Staatskapelle de 1975 à 1995 – avec laquelle il immortalisa une fort belle version live de la Neuvième de Beethoven [lire notre critique du CD]. Aussi sommes-nous dans l’impressionnante Frauenkirche, reconstruite entre 1994 et 2005 puis consacrée le 30 octobre de la même année, soixante ans après sa destruction (15 février 1945) – Camilla Nylund, Birgit Remmert, Christian Elsner et René Pape, la Sächsischen Staatskapelle Dresden et le Sächsischer Staatsopernchor Dresden y chantèrent la Missa solemnis sous la direction de Fabio Luisi, en concert inaugural.

L’acoustique de l’édifice favorise une certaine épaisseur, parfois un rien envahissante, mais jamais confuse. Dès l’Allegro moderato s’impose une lecture immensément lyrique qui caractérise la manière d’Herbert Blomstedt face à une écriture qu’on a peut-être trop tendance à rendre austère – Hermann Bahr se souvient de Bruckner comme d’un homme gauche et cérémonieux, timide jusqu’à l’embarras, voire rustaud d’apparence, ce qui induit en rien quelque sécheresse (in Selbstbildnis, Berlin 1923). Il use en maître de contrastes vaillants, voire drus, alternant la lumière organistique des bois, tour à tour mordorée et presque brumeuse, et la tendresse des cordes. D’une relative lenteur, ce premier épisode s’éteint comme une énigme. La ciselure remarquable du Scherzo bénéficie d’un élan formidable et d’une inventivité sans cesse renouvelée au fil des reprises de son motif – à quatre-vingt-huit ans, le maestro affiche un enthousiasme proprement endiablé ! En revanche, l’Adagio suivant devient une sorte de larghissimo estatico, passionnément contemplatif. La respiration est généreuse, précis le relief des harpes et imparable la régularité du tactus. Dans une couleur paisible et moelleuse, la conclusion s’étire discrètement. La naissance du Finale vient du lointain, en grand secret, abordant valeureusement les innombrables autocitations qui empèsent sensiblement l’œuvre. À l’ultime résonance qui s’échappe dans la coupole succède d’abord un silence respectueux, puis des applaudissements emportés.

BB