Chroniques

par bertrand bolognesi

Anima Eterna joue Wagner et Liszt
Pascal Amoyel, Jos van Immerseel

Opéra de Dijon / Auditorium
- 4 février 2011
Anima Eterna et Jos van Immerseel jouent  Liszt et Wagner à Dijon
© alex vanhe

Voilà une soirée qui fera mieux saisir tout ce que l’orchestre de Liszt dut à celui de Berlioz comme tout ce que Wagner put trouver d’inspiration dans les idées incessantes de Liszt, partageur discret qui jamais ne le révéla. Outre un programme d’une cohérence remarquablement ficelée, il s’agit bien de faire sonner les pièces choisies sur instruments historiques, selon cette belle mission que s’est donnée Jos van Immerseel avec son orchestre Anima Eterna.

C’est dans une inflexion souple, tendre même, jamais pontifiante, que s’ouvre ici Siegfried Idyll, bénéficiant d’une coloration indicible des cordes, de l’intense chaleur de la flûte et de la clarinette, comme du contour précieux du basson. Dans cet opus, certaines baguettes se croient à l’opéra (ou compensent de n’y être pas, qui sait…), certaines autres, plus minutieuses, en font de la musique de chambre ; celle de ce soir va plus loin qui, sans déroger au raffinement chambriste ni en restreindre l’aura, réalise la symphonie de chambre. Les équilibres se solutionnent tout naturellement, révélant une lumière feutrée, des demi-teintes étonnantes où se déposent exquisément un chromatisme du violoncelle ou l’appel d’un cor comme venu des glaciers.

Certaines oreilles – il en est même dotées d’une plume (que peut-être l’on apprécierait mieux plantées au chapeau qu’en l’encrier) – ont pu se déclarer choquées de ce que l’on jouât Wagner sur instruments d’époque. Certes, la question se pose (et nous aussi l’aurons formulée à maintes reprises) de la légitimité de servir un compositeur avec les moyens de son temps, moyens qu’il jugeait souvent insuffisant, ou avec ceux d’aujourd’hui que, dans notre suffisance de modernes nous assimilons sans jugeote à ceux dont le compositeur lui-même aurait rêvé – dans le domaine du rêve, la liberté est assez grande pour qu’on puisse imaginer que les instruments dont nous disposons, pour nous paraître idéaux, ne sont déjà plus (ou pas encore, qui sait ?) ceux attendu par ledit créateur. Contredire la démarche historiciste à grand renfort de coups de gueule, ce serait adopter soi-même dans sa propre critique cette démarche (par la recherches de sources anciennes) estimée dans le même temps peu recommandable dans l’usage qu’en feraient les musiciens : voilà une pose qui me paraît guère soutenable, en tout cas. Sans doute vaut-il mieux nuancer le propos en se gardant d’édifier des généralités et, surtout, partant que vivante est la musique (même celle d’hier) de donner à ceux qui la font le droit d’un peu bousculer nos habitudes.

Quant aux interprétations de ce soir, s’y imposent tout à la fois un extrême raffinement et une évidente simplicité. Ainsi du Concerto pour piano en la majeur n°2 de Ferenc Liszt, confié aux bons soins de Pascal Amoyel dont la verve plus contenue qu’à l’accoutumée parcourt le clavier d’un Bechstein de 1870, à défaut de l’Érard de 1886 initialement prévu, en convalescence après un accident de corde survenu la veille à Bruges. À la moelleuse introduction des bois répond une délicate articulation solistique, inattendue dans cette grosse architecture noire arborant ses vilains pieds en poitrine de pigeon amoureux. On goûte une lecture assez leste, des impressions de cymbalum dans les arpèges de main gauche, une sonorité un peu fermée (c’est souvent le cas des Bechstein) à l’aigu proprement divin, à peine entaché d’une balance parfois mal dosée.

Liszt, toujours, avec deux poèmes symphoniques, de part et d’autre du prélude de l’Acte III de Lohengrin dont l’exécution paraît tout de même un peu crue. Page tardive, Von der Wiege bis zum Grabe appelle en ses premières mesures les errances de celles de l’Adagio de la Dixième de Mahler (comme quoi l’usage de certains instruments peut aussi révéler plus encore la modernité d’une œuvre), Jos van Immerseel réservant une tonicité jamais démonstrative, quoique contrastée, à der Kampf um’s Dasein, le volet central du triptyque, avant de le conclure dans une ciselure méditative. Les préludes, troisième des sinfonische Dichtung de Liszt, précurseur de Dukas par certains aspects, finit la soirée.

BB