Chroniques

par bertrand bolognesi

Angelika Kirchschlager chante Grieg et Wagner
Kristjan Järvi dirige le Kammerorchester Basel

Opéra de Dijon / Auditorium
- 12 mars 2011
Angelika Kirchschlager chante Wagner et Grieg sous la direction de Kristjan Järv
© nikolaus karkinsky

Promenades nordiques, ce soir, à Dijon, avec l’Orchestre de chambre de Bâle qui prend l’auditeur par la main vers le pays des légendes… C’est à regarder celles du Pays des héros que la formation suisse invite, avec Le cygne de Tuonela Op.22, la pièce la plus connue de la Suite de Lemminkäinen qui en compte quatre. Le fringant conseiller artistique du Kammerorchester Basel, l’Estonien Kristjan Järvi, charme immédiatement l’écoute par une approche subtilement colorée, soignant minutieusement les traits solistiques sans entraver un phrasé général toujours large qui, cependant, ne se mire point trop le nombril. La dynamique est avantageusement sculptée, dans cette exécution qui fait apprécier les qualités des instrumentistes, notamment le hautbois et le violoncelle auxquels la partition fait la part belle. Se gardant de « faire un sort » à tout, le chef conclut dans une énigmatique discrétion.

À ceux qui entendirent un peu du Wagner de Tristan dans ce Cygne, le cycle des Wesendonck Lieder apparaîtra d’à propos pour lui succéder. De ces mélodies initialement accompagnées au piano (1857), l’on connaît l’orchestration du fidèle Felix Mottl, mais un peu moins le précieux arrangement chambriste conçu en 1976 par le compositeur Hans Werner Henze qui en dirigeait lui-même la première audition publique au printemps 1977 à Cologne. De cette version offrant l’avantage d’un passionnant travail des timbres, dans une proximité toute webernienne, Kristjan Järvi livre une interprétation d’un indicible raffinement. Sans se soumettre entièrement à la voix, il avance en bonne intelligence à ses côtés, pour servir au mieux ces pages.

On retrouve avec bonheur Angelika Kirchschlager dans un Engel qui surprend par la rondeur et la tendresse du mezzo-soprano. Comme à son habitude, l’artiste affirme une extrême intelligence du texte dans Stehe Still, somptueusement dessiné par la petite harmonie. Cependant, même avec ce soutien attentif et parcimonieusement dosé, la voix s’avère un peu courte dans Im Treibhaus, même si demeurent la présence et des graves moelleux. La baguette s’impose plus enlevée pour Schmerzen, dans un grand relief, en symbiose avec le ton alors plus dramatique de Kirchschlager. Si déjà la harpe sonnait tout au long de cette orchestration, c’est dans Träume qu’elle prend tout son éclat, formant au Rêve comme un mystérieux galgal. Là, la voix se libère, se révèle plus large dans des nuances parfaitement expressives.

Et voilà que les musiciens particulièrement réactifs du Kammerorchester Basel, buvant à l’intarissable source de la direction de Järvi qui affirme toujours plus sa saine vivacité, se lancent dans la Suite de concert de Peer Gynt imaginée d’après l’original d’Edvard Grieg par… Kristjan Järvi himself ! Le public est alors entraîné dans un tourbillon des merveilles qui interroge activement Ibsen et tout son monde à travers la joyeuse précision du chef, un travail de sonorité toujours choisi, un véritable parcours dans l’œuvre. Ainsi de l’alto qu’on pourra dire ethnique des Noces, de la sauvagerie du pays du Roi de la montagne, de l’acide poursuite des trolls, du recueillement de La mort d’Ase qui va se raréfiant, d’un matin fraîchement évoqué par des bois excellents, et ainsi de suite, avec un contraste volontiers au rendez-vous.

Angelika Kirchschlager fait alors son entrée, carolant aux rythmes de la Danse arabe. Plus épanouie encore, la voix supporte un accompagnement pourtant assez chargé, contredisant l’impression produite par Im Treibhaus. De la sinuosité diablement séductrice du chant, l’on goûte des nuances savamment conduites. À l’élégance feutrée de la Danse d’Anitra succèdent des narrations fermement articulées, les cuivres hiératiques de Memnon, l’épique naufrage où l’on croît entendre la verve du Holländer, avant que Solveig déploie ses somptuosités vocales sur une pédale de cordes très tendue. Dans une pâte profonde, le Psaume impose son chœur orchestral, avant qu’une ultime berceuse finisse de convaincre la salle en liesse. Surtout, ne vous en privez pas : ce fort beau concert sera retransmis par France Musique le mercredi 30 mars, à 9h07.

BB