Chroniques

par hervé könig

Alzira
opéra de Giuseppe Verdi

Buxton Festival / Opera House
- 13 juillet 2018
Elijah Moshinsky met en scène la création britannique d'Alzira de Verdi
© richard hubert smith

Le très louable Buxton Festival continue son exploration des raretés oubliées par le répertoire. Ainsi aborde-t-on aujourd’hui l’un des premiers opéras de Verdi (son huitième), Alzira, créé au San Carlo de Naples en 1845. Salvatore Cammarano, son librettiste, en a puisé la trame chez Voltaire et sa pièce représentée à Paris en 1736, Alzire. Sur fond de guerre de domination des conquistadors espagnols sur les Incas du Pérou, c’est peut-être le joug autrichien sur l’Italie que les artistes évoquaient alors. Dès la première, l’ouvrage (en deux actes introduits par un prologue) fut un peu boudé. Il compte pourtant de fort beaux moments, comme le somptueux sextuor vocal en fin de premier acte, et une construction qui laisse clairement entrevoir les grandes pages à venir du compositeur [lire notre critique du DVD]. Sans doute ses contemporains ont-ils été désagréablement surpris par la dimension d’Alzira – à peine une heure et demi, ce qui n’était pas du tout dans le goût de l’époque. De nos jours, cette concision, mariée à une urgence de chaque passage, nous le rend attachant. Après une reprise à Rome durant l’automne 1845, puis à Milan l’année suivante, cette tragédie ne fut plus montée. En 1968, le Teatro Costanzi (Opéra de Rome) l’a réhabilitée avec un certain succès. Pour autant, elle a gardé une mauvaise réputation que la production de Buxton – en fait la création britannique d’Alzira ! – contredit efficacement.

Avec le scénographe Russell Craig, le metteur en scène Elijah Moshinsky, dont nous avions apprécié le Macbet ici-même l’été dernier [lire notre chronique du 18 juillet 2017], a relevé le défi. La révolte inca contre les colons espagnols est transposée dans le dernier quart du XXe siècle. À une dictature militaire, qui collabore largement à l’hégémonie européenne, s’oppose un complot rebelle. À travers les vidéos de Stanley Orwin-Fraser la jungle amazonienne est invitée sur le plateau. Si certains accessoires peuvent faire sourire, comme les chemises à fleurs, les cigares qu’on croque à pleines dents pour les fumer, ou encore les panamas des meneurs de la guérilla, la proposition sert vraiment l’argument auquel elle se conforme sans problème. Enfin, la représentation de l’héroïne-titre en princesse du peuple, Frida Kahlo quasi Madone, grâce à la lumière de Mark Jonathan, a beaucoup plu.

Verdi consacra plusieurs numéros au chœur. Le Festival Chorus s’illustre avec enthousiasme dans une prestation de bonne tenue. Cet opéra exige de la fosse un vif engagement dramatique. Sous la direction de Stephen Barlow, le Northern Chamber Orchestra ne déroge pas à sa mission. Une passion sincère, un certain panache, aussi, portent fièrement la partition. Plus que l’éventuel raffinement de l’œuvre, c’est le théâtre en musique qui prime dans cette interprétation.

Les personnages sont bien campés par l’ensemble des chanteurs. Parmi ceux-ci l’on retrouve Kate Ladner, la Lady Macbeth de l’an passé. Elle compose une Zelmira impérieuse dont est surtout mis en valeur l’aspect volontaire. Dans les passages qui demandent plus de souplesse, le soprano ne possède pas la couleur souhaitable. Cette flexibilité, le baryton James Cleverton l’utilise avec avantage en Gusmano. Aussi sait-il varier avec sensibilité son phrasé. Même si la voix n’a pas ce caractère noir des grands rôles verdiens, il chante avec une grande classe. La facilité du ténor Jung Soo Yu est un bonheur dans les cabalettes de Zamoro. La maîtrise technique est remarquable et mène une incarnation brillantissime. En vieux père (Alvaro), comme en comptent souvent les opéras de l’Italien, Graeme Danby fait entendre l’archétype de la basse noble qu’on apprécie beaucoup dans l’ultime duo de l’Acte II. N’oublions pas le jeune Brian McNamee, impeccable Ovando.

Après la Tisbe de Brescianello [lire notre chronique de la veille], Alzira est chaleureusement accueilli, cent soixante-treize ans après son échec napolitain.

HK