Chroniques

par nicolas munck

Alexander von Zemlinsky et Gustav Mahler
Orchestre national Bordeaux-Aquitaine, Sarah Connolly, Paul Daniel

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 21 juillet 2015
Paul Daniel dirige l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine à Montpellier
© marc ginot

Programme Vienne tournant de siècle en compagnie de l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, qui signe ici sa première participation au Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon avec la pertinente association des Six Lieder Op.13 d’Alexander von Zemlinsky, sur des poèmes de Maeterlinck, et de la funèbre Symphonie en ut # mineur n°5 de Gustav Mahler que les protagonistes du soir ont d’ailleurs enregistrée [lire notre critique du livre-disque]. Zemlinsky retient six des quinze poèmes pseudo-moyenâgeux du poète symboliste, traduits en allemand, qu’il agence à sa guise. Une première version pour voix et piano voit le jour en 1913. Dans l’orchestration complète de 1924, afin de colorer les registres aigus d’un dispositif instrumental plus proche du grand ensemble chambriste, le compositeur fait le choix de ne pas utiliser les cuivres, ajoutant à sa palette harmonium et célesta. Plus que la richesse de l’écriture vocale, qui reste simple et limpide, c’est bien plutôt la subtilité de l’écriture instrumentale et de l’agencement des plans sonores qui séduit. Le cycle constitue, du reste, une excellente mise en oreille qui permet de mesurer les grandes qualités d’une formation solide et bien tenue. Habitué à ce répertoire viennois du premier vingtième siècle (Korngold, Schönberg), le mezzo-soprano anglais Sarah Connolly marque immédiatement le recueil de son empreinte par une voix souple, soutenue dans tous les registres, et une diction irréprochable. Très à l’écoute et attentif au moindre contraste et équilibre dynamique, Paul Daniel offre une version d’une sobriété extraordinaire, laissant toutefois passer une forte charge émotionnelle.

Avec la Cinquième de Mahler, très attendue par un public qui semble trépigner d’impatience, vient le cœur de ce programme. Composée entre 1901 et 1902 et exacte contemporaine des Kindertotenlieder, cette symphonie de plus d’une heure se structure en cinq mouvements et trois parties (les mouvements un et deux constituant la première). Développé à partir de cellules thématiques et sur une métrique martiale à 2/2, le premier (Trauermarsch) s’ouvre, avant un premier tutti avec cordes, bassons, contrebasson, cors, trompettes, trombones et percussions, par une glaçante fanfare de trompette d’abord exposée à la première trompette solo. Sans doute par une volonté louable d’anticipation et de réduction de l’effet de distance avec le chef, le premier triolet, pianissimo et piqué, prend toutefois des airs de quartolet bancal et fragilise la construction de la phrase jusqu’au premier arpège ascendant. Le stress est bien palpable. Certes, cet événement peut paraître local et anecdotique, mais il donne une réelle fragilité aux cuivres ainsi qu’à l’ensemble de l’orchestre ; le premier mouvement à bien du mal à déployer.

Dans le deuxième en la mineur (Stürmisch bewegt. Mit größter Vehemenz) l’orchestre, qui gagne en plénitude, commence à donner toute sa mesure. Sur le Langsam aber immer (toujours à 2/2), la fusion entre le pupitre de violoncelles et la pédale de timbales sur si bémol fonctionne admirablement et la couleur est superbe. Dans le tutti, l’hymne de triomphe final, exposé aux cuivres sous la forme d’un choral, fait rayonner un orchestre qui semble, enfin, reprendre du poil de la bête après avoir un peu subit le premier mouvement.

Mais la plus grande réussite de cette version montpelliéraine réside dans le célébrissime Adagietto en fa majeur qui ouvre la troisième partie de cet opus mahlérien. D’un raffinement extrême dans le découpage mélodique et véritable paradis de l’appogiature, cet épisode joue en permanence sur des effets de suspension et de floutage harmonique. Paul Daniel tient son orchestre avec force conviction et ne tombe pas dans le travers d’une sur-expressivité dégoulinante. Les cordes y sont d’une remarquable densité. Enfin, l’ultime Rondo (Allegro. Allegro Giocoso) en ré majeur reste bien mené, notamment en ce qui concerne la circulation polyphonique des fugatos après l’exposition du thème principal. Entre fausse réexposition et développement des éléments thématiques de l’Adagietto, cet ultime mouvement s’achève sur un choral triomphal proche de celui du II. Cette pleine sonorité d’orchestre, qui ne sature jamais, permet de rester sur une impression réjouissante.

Bien qu’honorablement défendue par un orchestre qui semble, du moins ce soir, en deçà de ses possibilités réelles, cette Symphonie n°5 marque par un certain manque d’inventivité et une fébrilité qui contamine quelque peu l’écoute. Nous restons sur notre faim.

NM