Chroniques

par laurent bergnach

Affaire étrangère
opéra de Valentin Sallenave

Opéra national de Montpellier, Comédie
- 5 février 2009
à Montpellier, création d"Affaire étrangère, opéra de Valentin Sallenave
© marc ginot | opéra national de montpellier

Au départ, il y a Politique étrangère (L'Association, 2000), un album signé Lewis Trondheim (scénario) et Jochen Gerner (dessin), composé de cent bandes de quatre cases chacune. L'argument est le suivant : une étrange machine volante, venue d'on ne sait où, vient s'écraser dans un royaume céleste autant que totalitaire. À son bord, un Etranger complètement amnésique va bouleverser la vie des autochtones. Fort embarrassé, le Roi ne sait que faire du prisonnier, d'autant que personne n'arrive à le conseiller comme il le souhaiterait ; ni le Chef de la Garde, ni le Docteur, ni la Reine, ni même Dieu qui traîne dans les jardins du château. Il hésite à rendre sa liberté à l'Etranger et penche de plus en plus pour le condamner à mort. Malgré cet environnement hostile, le captif arrive à se dépêtrer de plus d'une situation périlleuse, tantôt grâce à son intelligence, tantôt grâce à son coup de poing.

Contacté par Valentin ViIllenave pour écrire le livret de son premier opéra, Trondheim est emballé par le projet mais également débordé de travail. Il propose donc d'adapter cet ancien huis-clos dont les personnages ne sont pas des animaux, comme si souvent dans son travail – lui-même se caricature volontiers en aigle. Le dessinateur en revoit les failles et supprime les personnages peu essentiels (l'infirmière, le garde prisonnier, et – quel dommage ! – Bertrand, l'adorable fantôme-espion).

De son côté, Gerner s'est chargé de la conception graphique du spectacle. L'album original étant en noir et blanc. Le dessinateur a conservé des couleurs assez neutres à l'ensemble (murs et nuages gris), mais y introduit le rouge qui donne du relief aux costumes, notamment. Chargé de la mise en scène, Richard Mitou mit debout et en mouvement ce qui était auparavant statique, mais sans céder pour autant au réalisme. Nombre d'effets (chute du Roi au ralenti, trottinements, objets plats, etc.) rappellent la fantaisie et l'humour de l'univers évoqué.

Quasiment jamais joué, le jeune compositeur (né en 1984) avoue son obsession pour la rigueur formelle : « toutes les structures de la pièce, du nombre de tableaux, de mesures, de temps, aux dispositions vocales et instrumentales, ont donné lieu à des contraintes et des jeux mathématiques », puis ajoute : « suivant les (rares) personnes à qui j'ai pu la montrer, ma musique suscite les réactions les plus diverses, tantôt qualifiée de dissonante et inaudible, tantôt, à l'inverse, de facile, insipide et réactionnaire. J'imagine que mon esthétique (s'il y en a une) se situe quelque part entre les deux – sans espoir de savoir où ». Pour notre part, on aura apprécié certains alliages timbriques dans la lignée de Debussy, restitués délicatement par la battue de Samuel Jean.

Côté chant, évidence et sensualité sont au rendez-vous avec les excellents Nicolas Courjal (Roi) et Catherine Hunold (Reine). Le baryton Marco Di Sapia offre à l'Etranger un timbre agréable, un rien granuleux. Yves Saelens (Chef de la garde) et Viorica Cortez (Dieu) sont des artistes à la hauteur de leur réputation. Seule décevra Delia Noble (Docteur), souvent couverte en dehors de ses aigus. Enfin, citons Cyril Amiot, majordome muet et souvent drôle.

Puisque René Kœring a donné sa chance à un compositeur novice de monter son projet, espérons qu'il offre maintenant la possibilité à toute une équipe d'enchanter à nouveau la salle en reprenant ce spectacle tous publics à l'été ou à l'hiver prochain.

LB