Chroniques

par marc develey

Accentus et Insula Orchestra
Mozart et Zelenka par Laurence Equilbey

Salle Pleyel, Paris
- 6 février 2014
Miserere de Zelenka et Requiem de Mozart par Laurence Equilbey, à Pleyel
© julien mignot

Assurément fulgurant dans sa noirceur liminaire se montre le Miserere en ut mineur ZWV 57 de Jan Dismas Zelenka ! Entés à un tactus implacable, les clameurs orchestrales y redoublent les chromatismes plaintifs d’un souffle tragique que contraste encore tel piano saisissant ou l’étonnante fugue en majeur, de texture parfois händélienne. Unifiés par la direction de Laurence Equilbey, chœur et orchestre se montrent savamment concertants. Si la projection serrée de Sandrine Piau et une diction parfois onctueuse font disparaître le texte du Gloria, l’ensemble est de bonne tenue, enthousiasmant même à la récapitulation ultime du Misere.

Le Requiem en ré mineur K.626 de Wolfgang Amadeus Mozart impose ensuite à cette courte soirée un style savant, non sans charme, mais sans cette grâce qui peut parfois signer la restitution d’une partition d’inspiration religieuse. Pensé comme une cinquième voix ou un second chœur, l’Insula Orchestra trame un contrechant très intelligemment travaillé sur les accents parfois maniéristes de l’ensemble vocal – chose rare et savoureuse, on entend les trombones sur l’et lux perpetua de l’Introïtus. Mené dans un alerte et étonnant mezzo forte, le Kyrie évoque avec bonheur une foule inquiète et murmurante, intériorisée presque, sur les scansions dramatiques de l’orchestre.

Quelque chose d’opératique se glisse alors au Dies Irae tempétueux – la réserve de son, limitée, est très justement exploitée dans une exploration de toute la dynamique. Tuba mirum confirme l’excellence du pupitre de cuivres. Le trombone y crée d’emblée un fort bel espace d’accueil à l’ouverture chaleureuse de la basse Christopher Purves. Un rien acide, mais convenant bien au Mors stupebit, incisif, Werner Güra (ténor) délivre des lignes bellement projetées, auxquelles répond la chaleur capiteuse du timbre de Sara Mingardo (alto) dans Judex ergo. Malgré unQuid sum miser un brin en retrait et quelques attaques instrumentales semble-t-il décalées (à moins que les résonances de Pleyel n’induisent en erreur), l’ensemble est d’agréable tenue. Si le quatuor soliste, précis, ne livre pas le plus touchant des Recordare, le chœur Accentus, parfois moins convaincant dans les aigus mais très subtilement soutenu par les cuivres et les timbales (confuctatis) puis les violons (voca me), sait émouvoir un temps.

Puis – avouons-le – de façon imprévue s’installe une forme d’ennui que n’expliquent ni la qualité ni la précision de l’exécution. Pas plus le bel effet de foule au Domine Jesu que le chœur furieux Quam olim Abrahæ, ou encore la rhétorique concertante, d’un discret maniérisme, ne dissipent la sensation qu’à tout ceci manque un je-ne-sais-quoi qui nous tiendra longtemps après dans sa zone d’inconfort. Peut-être deux moments du Sanctus nous en donnent-il la clé : l’hapax captivant de la triple anaphore liminaire, qui résonne d’une gloire exaltante, et, en contre-image, l’Osanna conclusif, qui imite la joie plutôt que de l’incarner.

Cette très intelligente musique manquerait-elle au fond de ferveur ?
Nous n’osons l’affirmer : c’est avis volé au besoin d’explication d’une étrange lassitude. Ce qui est sûr, c’est que si ferveur il y a, elle nous échappe – et, l’intelligence du son ne parvenant pas à élever les procédés à hauteur d’adhésion, nous finissons par ne plus acquiescer qu’à moitié, signant, pour des causes que nous peinons encore à démêler, le semi-échec de cette rencontre.

MD