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Chroniques
2e2m joue Mauro Lanza et Andrea Valle
Regnum lapideum – Le nubi non scoppiano per il peso
Formé auprès de Ferneyhough, Grisey et Sciarrino, l’Italien Mauro Lanza (né en 1975) poursuit depuis longtemps sa quête d’une fusion intime entre instruments classiques et sources moins conventionnelles – l’instrument-jouet et le bruitage, par exemple, comme il apparaît dans la cocasse Bataille de Caresme et Charnage (Brest, 2012) [lire notre critique du CD]. Avec Andrea Valle (né en 1974), confrère et chercheur qui, depuis 2009, développe des projets reposant sur le contrôle informatisé d’objets physiques – avec une prédilection pour les matériaux mis au rebut –, il conçoit le cycle Systema naturæ, dans le courant des années dix. Celui-ci comprend Regnum animale (Milan, 2013) pour trio à cordes, Regnum vegetabile (Darmstadt, 2014) pour sextuor, Regnum lapideum (Paris, 2016) pour ensemble et Fossilia (Berlin, 2017) pour dix instruments. Les quatre opus intègrent des dispositifs électromécaniques pilotés par ordinateur.
« Pour être réussie, expliquent les architectes du projet, l’intégration sonore des objets et des instruments doit s’appuyer sur une analyse complète des échantillons sonores des corps sonnants aussi bien que des instruments, afin que l’information acoustique soit stockée et utilisée de manière homogène et indiscriminée au cours de la composition. Grâce à ce genre d’infrastructure technologique, il a été possible d’exploiter une vaste palette de techniques algorithmiques “classiques” de composition (automates cellulaires, canons, sonifications de données…) ».
Inspiré par la tradition médiévale des lapidaires (catalogues disparates de pierres hétéroclites, avec leur éventuelles propriétés magiques ou alchimiques) et une taxinomie héritière du naturaliste suédois Linné (1707-1778), le troisième chapitre est joué ce soir par son commanditaire, l’Ensemble 2e2m, avec Pierre Roullier à sa tête. La pièce comporte douze parties, dont les noms proviennent du De Lapidibus de l’évêque Marbodus Redonensis (Marbode de Rennes, c.1035-c.1123), un ouvrage qui tente de cerner les pouvoirs du monde minéral, réel ou imaginaire (« le cristal est de la glace durcie pendant de nombreuses années »). De ces vingt minutes, nous retiendrons un penchant à favoriser le rythme, c’est certain (martellement de casseroles, son de mitrailleuse, emballement d’une guitare, etc.), mais en alternance avec une certaine douceur, sous forme de vagues timides parfois [lire notre chronique du 29 avril 2016].
La seconde pièce au programme, d’une vingtaine de minutes elle aussi, est Le nubi non scoppiano per il peso (Oslo, 2011) que l’on traduira par Les nuages n’éclatent pas sous leur poids. Inspirée par Le livre de Job, elle « traite de pesanteur et de chute, ainsi que de la mesure de ce qui semble immesurable ». Une installation concrétise cette volonté à l’avant-scène : des gouttes d’eau contrôlées par ordinateur qui tombent régulièrement sur une rangée de bols métalliques, cloches à vaches et plaques électriques allumées. À l’arrière, une dizaine de musiciens amorcent (tapotage, plaintes, etc.) ce qui vise à un forte (trombone bouché, percussion, piano) signant l’intervention du soprano Svea Schildknecht. Ses vocalises tenues, sans ligne, durant cinq minutes, s’accompagnent de bruits d’appeaux. La fin de cette page s’avère mystérieuse et ouatée, ceinte d’une brume d’harmoniques.
LB