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Chroniques
Собачье сердце | Cœur de chien
opéra d’Alexandre Raskatov
Quand tombe le rideau et qu’éclatent les applaudissements du public lyonnais – lequel ne passe vraiment pas pour laisser facilement éclater sa satisfaction voire sa joie en matière théâtrale ou lyrique –, on se prend à féliciter d’abord… des marionnettistes. Ceux de l’équipe du Blind Summit Theatre créé en 1997 par Mark Down et Nick Barnes, avec la volonté de faire revivre le bunraku, théâtre traditionnel japonais. Voilà cette mission superbement remplie : pendant plus de deux heures, ils ont fait vivre, et d’impressionnante manière, un chien ! Enfin, un homme-chien, ou plutôt un chien transformé en homme par un médecin russe un peu fou, émule du sieur Frankenstein, qui sème ainsi le désordre dans le monde soigneusement cloisonné, compartimenté, surveillé de l’URSS rigidement stalinienne.
Au départ, il y a Cœur de Chien, la nouvelle écrite en 1925 par Mikhaïl Boulgakov, homme de lettres russe d'origine ukrainienne, médecin lui-même, publié seulement en 1968 et hors frontières, puisqu’interdit par le régime soviétique jusqu’en 1987. On y voit un praticien vite dépassé par les événements greffer sur un chien les organes sexuels et l’hypophyse d’un homme. Au début du siècle nouveau, l’auteur étant décédé à Moscou en 1940, le compositeur Alexandre Raskatov, russe lui aussi mais installé en France depuis 2004, décide de mettre en musique le texte de son compatriote et demande un livret au dramaturge italien Cesare Mazzonis, dans la langue de Dante d’abord, puis traduit dans celle de Tchaïkovski – ainsi Cuore di cane devint-il Собачье сердце. Commande De Nederlandse Opera, l’ouvrage fut créé à Amsterdam en 2010, repris à Londres puis à Milan, avant d’être présenté en création française à Lyon.
Commençons par la justesse, le mélange de robustesse et de finesse, la créativité bien choisie et bien menée, l’ironie féroce du travail scénique imaginé, mené, construit voire déconstruit avec une maîtrise parfaite et une efficacité idoine par Simon McBurney : un amalgame d’or fin avec les décors simples mais quasiment vivants et participatifs de Michael Levine, les costumes sobres mais parlants de Christina Cunningham, les lumières habiles et efficaces de Paul Anderson, la chorégraphie « mouvementielle » conçue par Toby Sedgwick, en parfaite osmose avec la vidéo de Finn Ross.
On l’aura compris : la musique possède là un compagnon de route parfait. Dire que le discours musical brille constamment de la même magnitude serait sans doute excessif. Le compositeur puise volontiers dans le fonds de commerce de mille ans ou presque de musique occidentale, en passant par les baroques et les contemporains. Cela dit, l’ensemble s’avère bien construit, vivifié, riche en sonorités bienvenues mais quelques fois inutilement agressives… à commencer par les aigus, les suraigus même, détimbrés et stridents, imposés aux solistes, en particulier à la piquante servante Zina, tenue par le soprano Nancy Allen Lundy. À ses côtés, Peter Hoare est un étonnant et fort convainquant chien-homme et homme-chien – Charik ou Charikov, soit Bouboule – qui se joue à merveille des difficultés tant dramatiques que vocales d’un rôle pas vraiment comme les autres. Face à Sergueï Leiferkus, son géniteur-médecin, et à Ville Rusanen, l’assistant du précédent, mais encore face au chœur Il Canto di Orfeo, particulièrement à l’aise. Sans oublier les musiciens de l’orchestre de l’Opéra national de Lyon qui tissent une toile symphonique du plus bel effet, stimulés (comme le plateau, d’ailleurs) par la direction vivante, intense et toujours en situation du chef britannique Martyn Brabbins.
GC