Chroniques

par gérard corneloup

Мазепа | Mazeppa
opéra de Piotr Tchaïkovski

Opéra de Monte-Carlo
- 24 février 2012
Mazeppa de Piotr Tchaïkovski à l'Opéra de Monte-Carlo
© opéra de monte-carlo

Comme point de départ à (quasiment) tout opéra historique, l’on trouve un personnage, réel ou fictif, un événement ou, plus modestement, un fait-divers de jadis. Ici, il s’agit d’un personnage bien réel, du nom d’Ivan Mazepa – avec un seul p – ayant vécu à la fin du XVIIe siècle, qui commença sa carrière comme page du roi de Pologne et en profita pour séduire l’épouse d’un noble autochtone lequel, furieux, fit attacher le jeune coupable, dans le plus simple appareil, sur un cheval lancé au galop vers l’inconnu. Le séducteur réussit à s’en tirer, devint chef de guerre, fut élu hetman – c'est-à-dire commandant – des Cosaques d’Ukraine, conspira contre le tsar avec les Suédois, multiplia les exactions et les crimes, etc., etc.

Du coup, on imagine combien l’homme et son existence tumultueuse purent intéresser la création artistique ! Byron et Hugo y allèrent d’un poème, Pouchkine d’une épopée, Liszt d’un poème symphonique, Tchaïkovski d’un ouvrage lyrique, roboratif opéra – historique, justement – qui s’étale sur trois actes et six tableaux, grande machine meyerbeerienne, alternant grandes arie tour à tour héroïques et intimistes, scènes chorales largement développées et intermèdes symphoniques : de la musique russe superbement ouvragée, mais enfermée dans la camisole de l’opéra italien. Une œuvre qui jamais ne s’imposa vraiment et dont les reprises n’encombrent pas les saisons lyriques : c’est dire l’intérêt de la production présentée à l’Opéra de Monte-Carlo.

Une production, mais encore un pari dû à la conception scénique imaginée pour l’occasion par le metteur en scène Dieter Kaegi : celui de transposer l’action de cette histoire de jalousie, de haine, de trahison et d’amour (évidemment malheureux) de la Russie classique et tsariste jusqu’à la Russie soviétique de la première partie du XXe siècle, ses années de plomb, ses milices prolétariennes, son grand drapeau rouge orné du marteau et de la faucille qui n’apparait toutefois qu’à la moitié de représentation. Un pari, donc, qui avait bien des chances de tomber dans la facilité, style Tintin au pays des Soviets. Il n’en est rien. Refusant toute véhémence, tout pseudo-message, tout manichéisme facile, ce travail solidement construit, habilement développé et parfaitement mené évolue en parfaite osmose avec les décors de Rudy Sabounghi et les costumes de David Belugou, le tout particulièrement bien mis en valeur par les éclairages de Laurent Castaingt.

Autre atout : cette partie scénique n’obère jamais la partie vocale pour laquelle il faut citer, en premier, la musicalité, la cohésion et l’épaisseur dramatique des Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo. Certes, dans le rôle éponyme, Tómas Tómasson a quelque mal à fusionner un épanouissement vocal parfois un rien fissuré et une émission d’une inégale cohésion sur toute l’étendue du registre. Certes, la Maria de Tatiana Pavlovskaïa met un bon acte à façonner une interprétation racée, fusionnelle, couronnée par une netteté du phrasé tardive mais émouvante. Mais Paata Burchuladze dans le lourd rôle de Kotchoubeï, le ténor Dmitro Popov fort à l’aise dans celui d’Andreï, l’amoureux éconduit, et le mezzo Elena Manistina, absolument parfaite tant vocalement que scéniquement dans le rôle de la mère, formaient une phalange vocale du plus bel effet.

Il faut y ajouter le travail à la fois en surface et en profondeur élaboré par le chef Dmitri Jurowski, visiblement dans son élément, à la tête des excellents pupitres de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Avec lui, la magie musicale de la partition opère pleinement.

GC