Chroniques

par bertrand bolognesi

Иоланта | Iolanta
opéra de Piotr Tchaïkovski

Halle aux grains, Toulouse
- 11 mai 2007

À la fin de l’année 1892, le Théâtre Mariinski de la capitale impériale créait l’ultime opéra de Tchaïkovski, Iolanta, conçu sur un livret que son frère Modeste adapta de la version russe (signée Zvantzev) d’une pièce du Danois Hertz, La fille du roi René (Kong René’s Datter, en langue originale), parue en 1883 et représentée à Moscou quatre ans plus tard.

Contant l’amour qui révèle sa cécité à une jeune princesse tout en lui communiquant un si fort désir de voir qu’un mage oriental réussira le miracle, cet ouvrage bref semble désigner une volonté nouvelle dans l’inspiration du compositeur, de sorte que certains commentateurs y verront le début d’une nouvelle période aspirant à la lumière, malheureusement fauchée par le choléra qui survint dix mois plus tard. Si tel est le cas, que vient faire la l’optimisme de cet acte ? Les mêmes diront qu’elle fut un adieu aux années de tourmente sans être un adieu à la vie. D’autres, estimant volontaire l’imprudence qui autorisa la fatale contamination d’octobre 1893, au regard de certains témoignages d’une passion tardive et fantasque, inciteraient plutôt à penser que ce sursaut de vitalité et d’espoir qui domine Iolanta fut le dernier, laissant le musicien épuiser ce qui lui restait de force et de courage dans le funèbre final de sa symphonie.

Ce soir, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse présente une fort belle version de concert de cette rare Iolanta, une exécution qui permet d’en goûter la troublante concision, parfois presque elliptique, comme la remarquable efficacité d’écriture. C’est un Tchaïkovski parfaitement maître de son médium que nous y rencontrons, se plaçant au-delà des limites de sa propre esthétique, ce soir servi par une distribution vocale irréprochable dont on tâchera d’oublier le chant disgracieux et sans nuance du Vaudémont d’Akhmed Agadi, ténor héroïque forçant méchamment l’aigu, menant assez mal le haut-médium et semblant oublier ce que son texte dit. On y remarque le baryton Garry Magee dans le rôle de Robert, dont le timbre flatteur promet beaucoup (on espère une nasalisation moins importante du grave, cela dit), et l’on y retrouve avec plaisir Valery Alexeev dont l’art magnifie aisément la partie d’Ibn-Hakia.

Les autres rôles sont tenus par de jeunes chanteurs ayant tous travaillé avec Larissa Gergieva à l’Académie du Mariinski, assumant pour ce concert la fonction de chef de chant. L’aigu bien accroché, encore un peu claironnant, de Sergeï Semishkur, campe un Alméric crédible, le phrasé opulent d’Eduard Tsanga [lire notre chronique du 3 mars 2006] fait regretter que Bertrand n’intervienne pas plus, la Brigitte d’Elena Gorshunova bénéficie d’une projection généreuse, Varvara Solovieva offre à Laura une émission toujours élégante, tandis que le rôle-titre, Victoria Yastrebova d’abord relativement terne sur les passages recitativi, libère peu à peu une ligne plus large qui prend tout son impact lorsque le personnage découvre finalement la lumière.

Outre la prestation vaillante des artistes du Chœur du Capitole, préparés par Patrick Marie Aubert, on saluera l’efficacité du trio féminin Laure Brigitt Martha, petite merveille d’équilibre vocal, livrant la délicate berceuse (fin de la troisième scène) dans une tendresse inquiète. Enfin, Anna Markarova donne à Martha une voix richement colorée dont la qualité, là encore, frustre (le rôle est tout petit), et Ilya Bannik, que l’on entend assez régulièrement dans les seconds plans, trouve dans le roi René à révéler des moyens avantageux et charismatiques dont, rehaussant sans cesse l’assise, il use avec intelligence et sensibilité – O Боже, Боже мой à pleurer, en fin Scène IV).

Par une exceptionnelle définition des timbres, une coloration indicible de la petite harmonie, des traits solistes soigneusement réalisés (duo des bassons et cor anglais du Prélude, violon et harpes de la Scène I, somptueuse clarinette de la IV, flûte de la IV, basson du duo de la VII, etc.), un accompagnement d’une troublante et sinueuse subtilité de l’air d’Ibn-Khakia (cinquième scène), un lyrisme plus emporté sur la romance de Vaudémont, Tugan Sokhiev, en profitant avec une gourmandise ordonnée de chaque détail de l’orchestration, en construit la dramaturgie en profondeur, jusqu’à la rutilance attendue de la liesse finale.

BB