Chroniques

par delphine roullier

Золотой Петушок | Le coq d’or
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov (version de concert)

Halle aux grains, Toulouse
- 28 novembre 2003
version de concert du Coq d'Or de Rimski-Korsakov, par Patrice Nin
© patrice nin

C’est à une version de concert magistralement dirigée par Oleg Caetani que nous assistons à la Halle aux Grains, invitant d’une autorité bienveillante chaque musicien de l’Orchestre national du Capitole, et en particulier les chanteurs, à servir au mieux la tardive partition de Rimski-Korsakov. Dans un ensemble musical vigoureux, le conte, construit comme une comédie grecque (prologue, épisodes, épilogue, avec figuration d’un chœur important sur scène, représentant tout un peuple, et à ce titre une opinion publique, même s’il n’y a pas ici de Coryphée) aux fausses allures de tragédie, l’histoire du bête et gourmand roi finissant le Dodon de la farce, en quelque sorte, qui aurait pu se prêter au merveilleux servira plus l’intention dramatique dans l’opéra de ce soir.

Suivant la relative neutralité d’une exécution concertante, un certain dispositif d’intervention des solistes suggère une option de lecture ; d’un côté figure l’ordre, de l’autre l’évènement, et entre les deux, immuable comme la morale tue de la fin, l’Astrologue, parole de magie mais aussi de vérité. Cependant, la virtuose Sumi Jo incarne la reine de Chemakha, Lorelei orientale, dans un écrin d’or et de paillettes, contrastant avec la sobre apparition du Coq enchanté, déplacé pour l’occasion dans les gradins de l’hémicycle arrière, soit Marie Devellereau dans une robe-bustier d’un chaleureux rose.

Si le peu d’échanges entre les chanteurs impose un climat austère à cette soirée, on remercie Oleg Caetani pour sa lecture dynamique qui répond, notamment au deuxième acte, lors de la danse du roi dans laquelle celui-ci atteint la quintessence du ridicule, à la lourdeur presque militaire de certains sons par une suave mélodie, soulignant ainsi le manichéisme propre à l’ouvrage. Le Chœur du Capitole se donne lui aussi avec brio, sous la direction de son tout nouveau chef Patrick Marie Aubert, qui en reprend les rennes.

Dépouillés de tout effet visuel, les chanteurs articulent avec plus ou moins de grâce leurs personnages. Si, accompagnée par Cédric Tiberghien, Marie Devellereau donnait la veille un récital fort intéressant et réussi, à l’Auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines, elle déçoit ce soir, souvent couverte par l’orchestre, d’une part, et faisant subir à son timbre quelques distorsions dues à un forçage maladroit. Le Roi Dodon, chanté par le russe Alexander Anissimov, se montre plus juste dans les deuxième et troisième actes qu’au début, escorté par son général Polkan, Anatoli Kortschega au style grandiloquent, d’une infinie lourdeur caricaturale.

Les seconds rôles assument mieux la prestation demandée.
L’intendante Amelfa est servie du timbre magnifiquement enveloppant d’Alexandrina Miltcheva, fort émouvante et à la douceur parfaitement maternelle, qui convient parfaitement au rôle d’intermédiaire entre un peuple aveugle et servile et son Tsar d’une rare imbécillité. Le brillant ténor Gilles Ragon campe un Prince Guidon à la voix claire et sans emphase, merveilleusement interprété, aux côtés d’Alexander Gergalov en Prince Afron, lui aussi éblouissant de clarté. Sumi Jo campe un Reine extrêmement froide, celle d’un orient sévère, en contradiction avec la volupté de sa partie de chant et des moires orchestrales qui la soutiennent. Enfin, Leonid Bomstein (ténor)se prête avantageusement à l’Astrologue, y compris par son physique, rendant grâce honorablement et efficacement à cette difficile partition.

Cette interprétation de ce Coq d’Or privilégie l’essence de l’ouvrage, à savoir la satire politique plus que l’appel du merveilleux et de la féerie orientale, interrogeant, non sans la déranger, notre propre conscience politique. Faut-il entrevoir dans cette exécution une esthétique de la rigueur, fustigeant avec ironie, pour le mieux contester, un certain ordre tsariste qui avait classé Rimski-Korsakov parmi ses dissidents lors de la Révolution de 1905 ? Revanche post-mortem, puisque l’œuvre fut interdite de production en 1908, mais revanche tout de même, et même double revanche puisqu’en servant le compositeur elle vient corroborer celle de Pouchkine qui, auteur dudit conte, usait ainsi de sa plume pour élever la voix contre Nicolas Ier. À chaque époque ses luttes, ses revanches, ses méthodes et ses tyrans…

DR