Chroniques

par bertrand bolognesi

Золотой Петушок | Le coq d’or
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov

Théâtre du Châtelet, Paris
- 23 décembre 2002
Marie-Noëlle Robert photographie Le coq d’or de Rimski-Korsakov au Châtelet (Par
© marie-noëlle robert

Grâce à la Saison Russe dont le Théâtre musical de Paris fait l’événement de sa programmation 2002/2003, nous aurons le plaisir d’entendre quelques ouvrages pas ou peu joués sur nos scènes. Si l’on ne se lasse pas de Dame de Pique et d’Eugène Onéguine (que nous retrouverons dans ce cycle), c’est avec une attention plus aiguisée que l’on abordera – enfin ! – La Fiancée du Tsar dans la production bordelaise (en visite sur ces planches en juin), Iolanta en version de concert (en mars) et, surtout, Le Démon d’Anton Rubinstein, d’après la nouvelle de Lermontov, donné pour la première fois en France par la troupe du Mariinski réunie autour de Lev Dodin pour la scène et de Valery Gergiev pour la fosse.

En 1984, l’Opéra de San Francisco et le Théâtre du Châtelet coproduisaient Le coq d’or offert ce soir, féerie tout spécialement inhumée des malles et des hangars pour les fêtes. Il s’agit du dernier ouvrage de Nikolaï Rimski-Korsakov, composé en réplique aux événements de 1905 et à la répression qu’ils occasionnèrent jusqu’au sein du Conservatoire de Saint-Pétersbourg et dont l’auteur souffrit directement. Mais de répliques en rétorques, c’est toujours l’art qui pâtit, et Rimski-Korsakov mourut avant de voir son œuvre créée sur une scène : montrant un tsar paresseux, qui dirige un peuple servile, se fier à un astrologue et perdre une guerre en orient, puis revenir pour se voir puni de son ingratitude et parjure à sa parole, Le coq d’or fut vertement interdit, on s’en doute. La Russie n’exigeait-elle pas précisément une telle soumission de son peuple, ne venait-elle pas de perdre le conflit avec le Japon et, enfin, qu’en avait-il été des inspirations impériales du sulfureux Raspoutine ?

La production vue en février dernier à l’Opéra de Nantes prenait activement en considération ce contexte et, avec des moyens techniques plus précaires, parvenait à enchanter –apparition de la Reine de Chemakha sur une quasi machine de Tinguely, par exemple. Elle s’adressait de front à notre conscience politique, par la farce triste et le désert carbonisé de la scène finale, cernée de pompiers comme on put le voir après une certaine explosion d’un certain emblème d’un certain superpouvoir un certain jour de septembre. Là aussi, cela déplut, voire choqua, et une grande partie du public ne voulut y voir que du mauvais goût. La vérité est-elle toujours agréable à entendre ?

Le spectacle de ce soir ne s’encombre pas d’une lecture d’une telle richesse. Il préfère se limiter à raconter un conte dont il n’exclut certes pas la morale, mais en s’abstenant de toute connaissance de cause, voire d’humour. Les costumes de Tomio Mohri ainsi que les maquillages de Suzanne Pisteur, inspirés de la tradition Kabuki, éblouissent de fastes et d’étrangeté, bien qu’on n’y perçoive guère la symbolique des couleurs que seul un public fort instruit de théâtre japonais eût pu goûter. L’absence de décor (une structure d’escaliers devant un ciel) fait d’autant plus éclater la magnificence des parures. La mise en scène d’Ennosuke Ichikawa s’ingénie à fasciner par le déploiement d’une féerie somptueuse, jusqu’à la démarche et à la gestuelle qu’elle impose aux chanteurs qui dépaysent totalement.

Félicitons le Chœur du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg autant que l’Orchestre de Paris et Kent Nagano qui, à leur tête, propose une lecture ferme aux tempi alertes du Coq d’or. L’Astrologue de Barry Banks correspond parfaitement à la tessiture extrêmement délicate du rôle, indiqué tenor altino, mais que le compositeur souhaitait entendre chanter en voix appuyée par un ténor lyrique. Il s’agit de naviguer sans cesse dans les hauteurs, jusqu’au contre mi. Dans le Prologue, on remarque un léger excès qui durcit le timbre et ne facilite pas l’aigu, mais très vite, la voix plus chaude peut-être, et le trac d’entrée en scène vaincu, l’artiste se laisse apprécier à sa juste valeur. Saluons également Yuri Maria Saenz qui habite le Coq de l’étrangeté de sa voix fabuleusement plane, toujours égale, comme celle qu’on imaginerait sortir d’une machine enchantée, justement. Olga Trifonova, que nous avions beaucoup aimée dans la Milli d’Arabella (Strauss) ici- même en avril dernier, assume avec une impressionnante maîtrise la vertigineuse partie de la Reine de Chemakha, aux vocalises incessantes.

BB