Chroniques

par bertrand bolognesi

Бори́с Годуно́в | Boris Godounov
opéra de Modeste Moussorgski

Théâtre de Capitole, Toulouse
- 10 avril 2005
Boris Godounov, opéra de Moussorgski, au Capitole de Toulouse
© patrice nin

Le Capitole reprend une production maison avec ce Boris Godounov que signait Nicolas Joel il y a sept ans. Un Boris concentré, exempt de toute futilité, s'agissant de la version originale de 1869 en sept tableaux, sans l'acte polonais. Sur une scène nue délimitée par une muraille de béton percée d'une énorme et sombre porte – seul le tableau du monastère est joué devant le rideau, à l'avant-scène, dans une quasi obscurité –, les protagonistes de cette fresque semi-historique évoluent dans la lumière parcimonieuse de Claude Béringuier.

Par l'emploi de costumes connotés, la sobre mise en scène situe l'action à l'époque de Nicolas II, tandis que le décor – principalement un portique métallique sur lequel une sorte de momie d'Empereur écrase le peuple russe – pourrait évoquer la fin de l'ère soviétique ou se vouloir notre contemporain. Boris apparaît dans la foule, vêtu comme les autres hommes. Dans cette histoire d'imposture, il semble que l'on ait voulu suggérer l'URSS en Godounov et la Russie d'aujourd'hui en Otrepiev, portant ostensiblement la tenue du dernier Romanov. Otrepiev ouvrit la voie aux catholiques polonais dans la période trouble de son règne (car il a réellement régné !) de même que l'occident pénètre chaque jour plus profondément la nouvelle Russie de Poutine. Toujours est-il qu'ici le rôle-titre apparaît bien en petit père du peuple et le faux Dmitri en réformiste.

Les personnages sont tous soigneusement construits, du terrible et inquiétant Chouïski au moindre officier. Pour finir, alors qu'on avait clairement associé Boris à Staline par la projection d'extraits de La ligne générale (Генеральную линию, film d'Eisenstein et Alexandrov, 1929), le portrait sans visage qui, après la mort, perdure sur le rideau de fin s'interroge sur une identité en danger. Après douze ans, le cataclysme nazi se solde par Nuremberg et le peuple allemand peut s'en libérer pour un vrai nouveau départ ; après soixante-neuf ans de communisme, les russes suivent la fermeté d'un « ex-kagébiste » sans qu'aucun procès ne désigne le passé. Où trouver espoir ?

Dans le vaste plateau vocal que convoque l'ouvrage de Moussorgski, on goûte un réel confort général qu'il conviendra de louer. Nul faux pas, chacun est parfaitement distribué, bien à sa place, selon ses plus flagrantes qualités. Félicitons d'un même élan Stefania Toczyska pour la voix chaude qu'elle prête à la nourrice, l'efficace officier d’André Heyboer, le chant judicieusement mené, bien qu'un peu tendu dans l'aigu, d’Hans-Peter Scheidegger en Tchelkalov, le fort bon Varlaam de Dmitri Ulianov, d'une grande et prometteuse santé vocale, l'attachant Fiodor de Luisa Islam-Ali-Zade, mais encore le iourodivi satisfaisant de Léonard Pezzino. Quant aux grands politiques, Viktor Afanasenko campe un Grigori lumineux, précis, vaillant et habité, Alexander Anisimov est un immense Pimène et Philip Langridge construit un génial Chouïski, tout en nuances, tant par le chant que théâtralement. Enfin, avec un organe généreux et magnifiquement étendu, une couleur d'une indéniable expressivité, Julian Konstantinov offre un Boris fort émouvant.

Saluons les artistes du Chœur et de la Maîtrise du Capitole pour cette prestation convaincante, ainsi que leur chef Patrick-Marie Aubert. En fosse, l'Orchestre national du Capitole affiche une grande forme, mené par un Bernhard Kontarsky précis, mais qui ne soutient guère la dramaturgie.

BB