Dossier

entretiens réalisés par bertrand bolognesi
paris – 13 et 15 février 2013

trois portraits wagnériens
Sophie Koch, Günther Groissböck et Martina Serafin

autour du Ring de l’Opéra national de Paris
Martina Serafin est Sieglinde (Die Walküre) à l'Opéra Bastille
© elisa haberer | opéra national de paris

À l’occasion du bicentenaire Richard Wagner, l’Opéra national de Paris reprend actuellement Der Ring des Nibelungen dont il confiait la mise en scène à Günter Krämer il y a trois ans. Après les représentations de Rheingold, c’est Die Walküre que le public peut actuellement redécouvrir. Pour les deux autres volets du cycle, vous pouvez prendre dates avec Siegfried (du 21 mars au 15 avril) et Götterdämmerung (du 21 mai au 16 juin), avant une Tétralogie donnée au complet en une semaine (du 18 au 26 juin). La distribution choisie s’orne de quelques voix que l’on suit depuis plusieurs années avec un intérêt accru et toujours autant de plaisir. Aussi avons-nous rencontré le mezzo-soprano Sophie Koch (Fricka de Rheingold et Walküre,Waltraute de Götterdämmerung), la basse Günther Groissböck (Fafner de Rheingold et Hunding de Walküre) et le soprano dramatique Martina Serafin (Sieglinde de Walküre) qui vous parlent ici de chant wagnérien, entre autres.

Martina Serafin

Il y a près d’une dizaine d’années nous entendions le soprano autrichien Martina Serafin dans le rôle de la Maréchale du Rosenkavalier (Strauss). C’était à l’Opéra de Nancy. « La critique française avait alors souligné négativement le fait qu’un tel rôle ait été confié à une jeune chanteuse. Pourtant, ce personnage n’est pas une vieille dame, loin s’en faut ! C’est l’âge de Sophie et de Quinquin qui fait contraste, mais le livret nous dit assez précisément qu’elle vient d’entrer dans sa trentaine », précise-t-elle. Pour notre part, nous nous étonnions plutôt agréablement de découvrir une Maréchale à mille lieux des « confiseries » habituelles. Un art évident de la scène s’imposait d’emblée, décliné avec une sensibilité rare [lire notre chronique du 31 mars 2005]. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que Martina Serafin parle volontiers de s’emparer d’un rôle. « Il faut interpréter, en faisant toujours confiance à sa voix, à ses moyens expressifs, que l’on chante Strauss, Wagner, Mozart ou Puccini ». On se doute que sa Sieglinde (Die Walküre, à partir du 17 février) ne sera pas de marbre. « C’est formidable de chanter Sieglinde, parce qu’elle est une amoureuse ardente, une femme de destin, l’héroïne d’une tragédie écrite qui la dépasse. Cette dimension mythologique, antique pour ainsi dire, doit être hautement portée par une inscription profonde dans la vie, dans son ici-et-maintenant. Pour ce faire, la direction de Philippe Jordan m’aide beaucoup ». Dans la foulée de ses études vocales à Vienne, le soprano dramatique fit ses débuts à Graz, dans les rôles mozartiens. « On dit que Mozart est bon pour les jeunes voix, parce qu’on y apprend forcément à contrôler ses moyens, à sertir l’impact, etc., sans prendre de risques trop tôt. Mais au fond, chaque prise de rôle est et doit être une prise de risque – à moins de rester en dehors de ce que l’on prétend faire. Je suis soprano dramatique : il s’agit d’un type de voix pour lequel les compositeurs ont écrit des parties qui nécessitent qu’on s’y engage vraiment. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas tout chanter. Alors, bien sûr, il y la « mise en voix » et les questions de style : il faut intégrer tout cela et le dépasser par l’interprétation ». Martina Serafin s’est confrontée tôt au répertoire wagnérien, puisqu’elle fut vite distribuée en Elsa et Elisabeth. Parallèlement, elle développa les rôles italiens, puisés dans le catalogue verdien, mais encore les grandes amoureuses pucciniennes. La fiancée vendue prit également une place dans son parcours. « J’ai beaucoup chanté La Maréchale. C’est un rôle passionnant, avec une assise psychologique extrêmement prégnante que la partition éclaire assez évidemment. Je pense que ce rôle d’une facture relativement « classique » m’a donné beaucoup d’assurance et a ouvert la voie vers les grandes incarnations italiennes. On m’a confié Mimi de La Bohème et très vite est venu Tosca. J’ai souvent chanté Floria et dans plusieurs productions (dont celle de Werner Schroeter à Paris). »

Martina Serafin met son art au service de Wagner, Puccini, Verdi, Strauss, etc.
© dr

« Lorsque j’arrive en répétition, j’ai déjà mon vision du personnage. Cela ne veut pas dire que j’y tienne au point de me fermer à toute autre option, non. Mais le rôle a été écrit pour tel type de voix afin de véhiculer tel destin avec des émotions précises, alors je suis convaincu de devoir toujours rester dans le respect absolu de la musique. Les soprani dramatiques et lyriques peuvent tout aussi bien le chanter : les lyriques des Floria de lumière qui font merveille durant la première moitié de l’opéra, jusqu’à Vissi d’arte ; les dramatiques se révèlent à partir de Visse d’arte et sur toute la fin comme des Tosca de passion, incandescentes. Un metteur en scène peut me convaincre, je ne suis pas fermée. C’est même l’inverse : s’il m’a convaincue, me voilà enthousiaste à défendre son projet avec feu, vraiment ! Mais ce projet doit faire confiance à la musique. Prenons un exemple : à la fin de l’Acte II, il y a ce postlude venimeux durant lequel traditionnellement Tosca pose les chandeliers autour du cadavre de Scarpia et prie. « Je lui pardonne », dit-elle. Entre la pénétration de la lame dans le cœur du baron, sa mort, le drame, la réaction haletante – « davanti a lui tremava tutta Roma » –, le recul acquis dans le respect religieux, peut-être la bénédiction des trépassés et cette parole de pardon, la lente maturation d’un état d’âme à l’autre est dans l’orchestre, incontestablement. C’est l’orchestre qui dicte ce que Floria vit après son geste. Du coup, il me paraît très malaisé de ne pas accepter la didascalie, car ce peut être aller contre la musique. Encore est-il possible, lorsque le metteur en scène est éclairé et inspiré, de déplacer la didascalie, de l’interpréter de manière à rester fidèle à la musique sans s’enfermer dans une acception étroite de la didascalie. C’est l’idéal, et alors il peut arriver que l’on fasse de grandes choses, mais c’est vraiment très rare ». Après Mimi et Floria Tosca, le rôle-titre de Turandot s’est présenté. « J’adore cette princesse. Je n’ai jamais cru au carcan horrifique où la plupart du temps on la cantonne. Il ne faut surtout pas durcir la voix pour la chanter. Elle est victime, par-delà le temps, de l’histoire de son aïeule. Alors elle a peur de l’homme, elle a peur de l’amour. Elle se cache derrière un masque glacial, mais son cœur déborde. Il convient donc plus de « retenir » la voix, peut-être, car la jeune fille est avant tout un mystère en ce qu’elle n’est pas activement engagée dans un destin qu’elle subit mais dont on pourrait imaginer qu’elle ne l’assume pas. Superficiellement, on a souvent dit que Turandot est le conte initiatique de Calaf ; certes, il prend le risque de solutionner les trois énigmes, puis son sens de l’honneur met une seconde fois en danger sa propre vie, comme pour se racheter inconsciemment du suicide de Liù, d’une part, mais aussi parce qu’il ne veut pas contraindre Turandot. C’est donc d’abord le conte initiatique de Turandot elle-même ! La peur que lui a léguée Lou-ling a les répercutions cruelles que l’on sait, puis elle rencontre la détermination courageuse de Calaf, mais surtout l’amour absolu de Liù et cette volonté du prince étranger de ne pas user de son droit en la contraignant : ces deux facteurs ont la force de la libérer, de la révéler. Ils lui donnent la force de se placer alors au-dessus de ce destin terrible et sanguinaire. Cette œuvre est extraordinaire et ce rôle magnifique ! »

Une tendance d’aujourd’hui pourrait inviter à penser qu’il y aurait les chanteurs wagnériens et les autres. L’écriture vocale de Wagner induit certaines qualités que d’autres compositeurs ont convoquées. Ainsi la carrière de Martina Serafin s’inscrit-elle naturellement dans l’histoire de l’interprétation lyrique, puisqu’à observer les grandes voix du passé l’on constate aisément qu’elles passaient régulièrement de Verdi à Wagner (et inversement) sans que cela leur posât de problème. Aussi nous risquons-nous à interroger la cantatrice sur deux grandes héroïnes qu’elle pourrait fort bien interpréter : Lady Macbeth (Verdi) et Isolde (Wagner). « Isolde viendra, voilà qui ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais c’est trop tôt : le rôle est plus complexe qu’on le pense et très long. Les artistes qui l’ont fait parlent parfois de « trois Isolde » au fil de l’ouvrage. Je ne suis pas encore prête. Quant à Lady Macbeth, je crois que je pourrai m’y atteler avant Isolde. C’est une femme terrible ! Elle est incroyablement séductrice, perverse même, et met tout en œuvre pour parvenir à ses fins. La voix doit charmer Macbeth et non pas l’effrayer ; elle le subjugue, lui donne l’ambition et le courage de tuer au nom de cette ambition ». Et l’amour ? Car enfin, Lady Macbeth n’est-elle que de glace et n’y a-t-il pas lieu de se poser la question de son sentiment envers Macbeth ? Certes, il s’agit indiscutable d’un amour tourmenté qui interagit avec un puissant désir de pouvoir, une projection mégalomaniaque de soi qui calcule sans cesse, mais ne pourrait-on pas entrevoir un autre moteur dans tout cela ? Martina Serafin ouvre grand ses beaux yeux et sourit : « je pourrai vous le dire quand j’aurai chanté le rôle ».

la jeune basse autrichienne Günther Groissböck, déjà grand wagnérien
© dr

Günther Groissböck

Après des études musicales à Vienne, Günther Groissböck incarne très tôt les rôles wagnériens. « C’est prestigieux d’étudier à Vienne, bien sûr, et aussi un peu dangereux. Car là-bas on grandit avec la musique, on fait de la musique, on parle sans cesse de musique, et l’on peut finir par croire que partout dans le monde la musique prend la même importance, ce qui n’est pas vrai. Du coup, vivre à Vienne, c’est un peu vivre dans un monde parallèle – et les Viennois pense que Vienne est le summum, alors le danger est de devenir quelqu’un de « mondialement connu à Vienne » (rires) ! ». À force qu’on l’entendre dans ce rôle à Paris (Théâtre du Châtelet et Opéra Bastille), à Strasbourg, etc., le public de ces dernières années pourrait l’appeler Monsieur Fafner. « Fasolt, l’autre géant, a vraiment quelque chose à chanter, avec ce Lied amoureux pour Freia, tandis que Fafner reste toujours en force, assez monolithique. J’ai d’ailleurs dit à Philippe Jordan que je ne souhaitais plus chanter Fafner maintenant, même si cette reprise de la production de 2010 est un grand plaisir. » Aussi nous réjouissons-nous de le retrouver en Hunding (Die Walküre) ces prochains jours. « Je préfère Hunding qui permet d’exprimer plus, de chanter vraiment. Je l’ai chanté pour la première fois en concert à Genève, puis je l’ai commencé sur scène ici, à Paris. Quand on en possède la couleur et l’énergie, on entre aisément dans cet Hunding fort comme une vague. Il est assez facile à chanter, en fait. Et s’il impressionne tant le public, c’est parce qu’il est écrit de manière extrêmement intelligente : le caractère du rôle contraste radicalement avec Sieglinde et Siegmund dans cette scène, ce qui est très « payant », si l’on peut dire. » Avec le bicentenaire Wagner, Günther Groissböck se trouve forcément dans plusieurs productions d’un même ouvrage, comme la plupart des wagnériens, cette année. Pour lui, s’adapter à différentes options n’est pas un problème si le metteur en scène a réfléchi sur l’œuvre et a vraiment pensé au personnage qu’il incarne. Il faut le convaincre : alors il est souple, ouvert, et avance main dans la main avec lui vers le but à atteindre. « Il m’arrive même de m’enflammer assez vite pour des choix inattendus qu’on pourrait peut-être trouver bizarres. Avec le Ring, les différentes mises en scène laissent plusieurs impressions dans la tête. Chacune vient enrichir mon savoir sur le personnage et sur l’œuvre. Et même si parfois l’option ne convient pas ou ne marche pas, de le savoir constitue aussi un enrichissement. On finit par se remplir d’impressions différentes, contradictoires et complémentaires. Par exemple, le Fafner de Günter Krämer (Paris) est très différent de celui de David McVicar (Strasbourg) [lire notre chronique du 14 février 2007] !

Ici, je suis un ouvrier, tandis que là-bas j’étais une étrange créature un peu sauvage qui se déplaçait sur de grandes échasses articulées. C’est génial de pouvoir évoluer ainsi tout en chantant le même rôle ! » Les études achevées, la basse autrichienne est distribuée dans Mozart et Weber, et presque aussitôt dans Wagner. « Ce n’était pas un hasard. Toujours la musique de Wagner m’a passionné. Quand j’étais jeune, j’allais l’écouter debout à la Staatsoper, comme le font les vrais Viennois (rires) ! J’avais déjà une relation forte avec cette musique (il faut être motivé pour rester debout trois fois 75 ou 80 minutes par soirée, voire plus de deux heures si c’est le premier acte de Götterdämmerung). En ce qui concerne la technique vocale, normalement tous les professeurs disent « ne touchez pas à Wagner trop tôt, c’est trop dangereux, vous allez vous abimer, attendez ». Mais chaque voix a son propre chemin. Comme l’a d’ailleurs souligné Jonas Kaufmann lors d’une récente interview, si l’on chante en-dessous de ses capacités vocales, on diminue sa voix. Bien sûr, il ne faut pas chanter dès le début les grands rôles wagnériens, parce qu’on n’en a pas les possibilités techniques ou qu’on est à peine en train de les acquérir, mais solliciter les cordes vocales à chanter ce répertoire permet de fortifier la voix, de la poser et d’assimiler une expérience qui rend rapidement plus performant par la suite. »

Günther Groissböck chante Hagen (Die Walküre) à l'Opéra national de Paris
© elisa haberer | opéra national de paris

« Il me semble que si l’on possède une voix wagnérienne, avec le coffre facile, et qu’on ne chante que Mozart ou Schubert, on gâche ses capacités et peu à peu on perd la richesse de son instrument. Bien sûr, Schubert et Mozart requièrent également une bonne assise technique, mais je crois que le défi est ailleurs. C’est comme si vous vouliez garer une très grande voiture dans un tout petit garage : quand on maîtrise parfaitement la conduite et le véhicule, on peut y arriver, mais c’est s’adonner à une gymnastique un peu ridicule. » À la volonté de chanter Wagner s’est vite associée la conscience parfaite d’en avoir les moyens. Selon lui, un jeune chanteur doit développer d’emblée le savoir de ce qu’il peut ou ne peut pas faire. Quelque chose à situer entre la lucidité et l’instinct, si l’on veut. Et c’est ainsi qu’il fonctionne aujourd’hui : une sorte d’instinct lui dicte de signer ou non tel rôle, partant que faire attention à la voix reste toujours d’actualité. Car après la certitude de pouvoir aborder les grands rôles wagnériens, l’étape suivante est de ménager sa voix, de les travailler sans surexploiter ses possibilités « naturelles ». Et si l’on est amené à ne chanter que Wagner, il faut veiller à ne pas durcir la voix, à en préserver la souplesse et à progresser encore. C’est la raison pour laquelle l’idéal serait de chanter régulièrement des rôles plus légers afin de ne pas trop solliciter la voix tout le temps. Ainsi Günther Groissböck chanta-t-il récemment dans Rusalka et d’autres pages du répertoire slave qui convoquent legato, lyrisme et malléabilité de la ligne de chant. Dans cet esprit, il eut beaucoup de plaisir à chanter le Prince Grémine (Eugène Onéguine), par exemple. Pour équilibrer, il participe également à des oratorios à la Konzerthaus de Vienne où l’absence de dimension scénique et d’implication dramatique lui permet de se concentrer plus encore sur la souplesse du chant. Mais offre-t-on à une basse wagnérienne de chanter autre choses en 2013 ? « Oui, avec le bicentenaire, c’est lourd, forcément. Tous les chanteurs connaissent ce problème, en ce moment. » De fait, l’écouter donne envie de l’entendre en Dosifeï de Khovantchina ou en Boris Godounov qu’il vient de donner à Madrid. « Avec Michael König nous étions les deux seuls chanteurs de la production à n’être pas russes. Je ne parle pas le russe, mais j’ai une sorte de feelingpour cette langue, ce qui me permit peut-être d’aller un peu plus loin qu’une approche phonétique enrichie d’une connaissance phrase par phrase du sens du livret, comme on le fait d’habitude en ce cas. C’était étrange : un peu comme d’arriver de Namibie pour participer à une compétition de saut à ski (rires) ! » On lui a déjà proposé le rôle de Dosifeï, mais d’autres contraintes de dates et de lieux ne rendaient pas ce projet réalisable.

De même aimerait-il chanter le répertoire contemporain, mais cela ne s’est pas encore produit. « Peut-être un jour pourrai-je chanter Karl Vd’Ernst Křenek, qui n’est pas d’une écriture contemporaine à proprement parler, mais qui est un rôle vraiment magnifique. » Les différences entre les grands rôles de basses wagnériens dépendent du moment de sa vie dans lequel Wagner les écrivit. « Le Landgrave de Tannhäuser [lire notre chronique du 13 août 2011] rappelle une ligne de chant italienne à laquelle il conjugue des aspects du Zarastro de Zauberflöte, par exemple, parce qu’il fut composé tôt. Plus Wagner mûrit, mieux il s’adapte à la langue allemande. Pour le rôle d’Heinrich de Lohengrin [lire notre chronique du 29 juillet 2010], il développe un style récitatif nouveau qui ressemble plus à ce qu’on connaîtra par la suite. Fafner est également très récitatif, mais cela correspond plus au caractère du personnage qu’à la façon de l’auteur. » D’un côté, il y a l’évolution du compositeur qui influe sur la conception des rôles, et parallèlement le caractère du personnage vient compléter ou pondérer cette évolution.

le mezzo-soprano français Sophie Koch, photographié par Patrice Nin
© patrice nin

Sophie Koch

C’est d’abord dans les rôles mozartiens et rossiniens que l’on entendit le mezzo-soprano Sophie Koch. Très rapidement est arrivée la musique de Richard Strauss, avec Ariadne auf Naxos (Compositeur) mais surtout Der Rosenkavalier (Octavian) [lire notre chronique du 11 mai 2008]. Depuis quelques années, avec quelques incarnations dans le répertoire romantique français, nous l’apprécions dans Wagner. « C’est le parcours classique de quelqu’un qui fait les choses progressivement, qui prudemment donne à sa voix la possibilité de prendre son temps. L’opéra de Strauss a beaucoup développé mes moyens. Quant à l’opéra français, cela paraissait logique de me le proposer à ce moment-là. ». Pour elle, il s’est toujours agit de penser sa voix tout en étant à l’écoute des demandes des directeurs de théâtres. En 2009, elle chante à Londres et change d’agent, ce qui peut souvent susciter un tournant dans la carrière. Nous sommes alors à l’aube des quinze années phares d’une voix comme la sienne : il s’agit donc de se projeter dans l’avenir, un avenir où elle souhaite ne plus « tourner » avec les mêmes rôles. La curiosité, l’envie de varier les choses, sans bousculer les tessitures dans un temps trop court, la motive. Aussi dresse-t-elle une nouvelle liste de rôles où elle propose Brangäne. « Allez, je me lance !... il était temps de prendre des risques. Parce qu’ils ne chantent pas pendant des heures, les rôles de mezzo-soprano de Wagner sont relativement limités : ce sont donc des risques mesurés. ». Elle a franchit le pas. Les choses vont alors très vite : Brangäne, Venus, Fricka et Waltraute. « Plus jeune, lorsque j’entendais des confrères dire « j’ai signé tel contrat, mais ma voix est maintenant au delà du rôle, ce qui me pose des difficultés », je ne comprenais pas. Si l’on a un répertoire fixe, qu’on chante Rossini, Mozart et Strauss, ce qui fut mon cas pendant près de quinze ans, on est en pilotage automatique, en quelque sorte. Mais développer le répertoire nécessite des ajustements. Il faut toujours retravailler son instrument afin de passer le mieux possible d’un rôle à l’autre, d’une langue à une autre, d’une tessiture à une autre, puisque nos compositeurs ont conçu des mezzos parfois plus aigus parfois plus graves. C’est plus de travail, bien sûr, et ce n’est jamais sans risque. Quand un rôle nous est proposé, on regarde la partition, on en essaie certains traits, mais au moment de signer le contrat, bien que s’étantpersuadé d’oser le faire, on a rarement le rôle dans la voix : il n’y a guère qu’en travaillant vraiment, une fois signé, qu’on réalise si oui ou non on peut le faire. Par chance, je n’ai jamais eu à renoncer à un rôle pour lequel j’avais dit oui ! En ce moment, on me parle de certains pour lesquels je réponds « pas cette année-là », ou « pas avant d’avoir chanté tel rôle ». Par exemple : j’ai refusé Kundry en 2015 parce que j’ai encore beaucoup de choses lyriques à chanter avant d’aborder Kundry. » Ainsi, après une phase Mozart et Rossini, menée parallèlement à une fréquentation assidue de la musique de Strauss, Sophie Koch connaît aujourd’hui une période Wagner. Reviendra-t-elle un jour à Mozart ? « Si j’étais soprano, oui, je pourrais garder la Comtesse des Noces, mais dans mon cas, il n’y a pas de retour possible vers Mozart ou Rossini. En revanche, je chanterai Strauss le plus longtemps possible. Je referai d’ailleurs Octavian (Rosenkavalier) l’année prochaine. »

Sophie Koch chante Fricka (Das Rheingold et Die Walküre) à la Bastille
© elisa haberer | opéra national de paris

Passer du Ring de Günter Krämer (Paris) à celui d’Andreas Kriegenburg (Munich) pour revenir aujourd’hui au premier n’invite pas la cantatrice à confronter vraiment les mises en scène. « S’il s’agissait d’un personnage vivant un véritable développement psychologique au fil de l’œuvre, la proximité de deux visions différentes en un temps très court pourrait peut-être m’amener à confronter les metteurs en scènes, mais avec Fricka, ce n’est pas le cas. Surtout que les conceptions de Kriegenburg et de Krämer restent plutôt classiques. Le costume change – plus certainement d’ailleurs que les partenaires, d’ailleurs (rires) : on se retrouve presque tous d’une production à l’autre ! » De tous les rôles wagnériens écrits pour mezzo-soprano, sa préférence va à Venus (Tannhäuser), car sa conception très lyrique « à l’italienne » convient aisément à sa voix qui tend naturellement vers l’aigu. Si elle apprécie moins Fricka et « son côté mégère qui aboie », elle confesse que ce rôle lui fit faire certains progrès : « on brutalise un peu son instrument et il en sort du positif. Et comme le rôle ne dure pas trois heures, la voix s’en trouve fortifiée ». Wagner écrivit en parfaite conformité avec la définition du mezzo-soprano : parfois la tessiture est un peu plus grave, parfois plutôt aiguë, toujours dans l’entre-deux. Certains diront de la voix de Sophie Koch qu’elle est falcon, à situer entre le mezzo-soprano et le soprano : c’est précisément ce qui lui permet des incursions très « sopranisantes » comme l’Adriano de Rienzi, qu’elle donnera sous la direction de Philippe Jordan cet été au Salzburger Festspiele, et de parfaire son médium avec Fricka. Bien sûr, elle puise dans l’écoute des grandes wagnériennes, qu’elles s’appellent Astrid Varnay, Martha Mödl ou Christa Ludwig, et admire Waltraud Meier qui chante merveilleusement Wagner depuis trente ans avec des moyens qui n’étaient pas spécifiquement wagnériens au départ.

Se considère-t-elle elle-même comme une wagnérienne ? « Non, ce serait comme d’usurper un titre, car pour moi chanter Wagner n’était pas un but en soi. Évidemment, c’est un répertoire vers lequel j’allais assez logiquement, mais il est un compositeur parmi les autres. Et nous sommes en 2013, alors bien sûr, on me propose beaucoup de le chanter et je suis ravie de pouvoir le faire. Mais il y aura un « après 2013 », n’est-ce pas ? Chanter Wagner n’a pas un caractère définitif, ce n’est pas l’aboutissement de mon chemin. »

nos remerciements vont à Verena Metz qui nous assista dans la rencontre de Martina Serafin et Günther Groissböck