Chroniques

par laurent bergnach

Tôn-Thât Tiêt
musique de chambre

1 CD Premiers horizons (2019)
070.173
Le Trio Salzedo interprète la musique de chambre de Tôn-Thât Tiêt

Tôn-Thât Tiêt naît en 1933 à Hué, l’ancienne capitale impériale du Vietnam. Comme il n’existe pas encore de conservatoire dans le pays, c’est grâce à des leçons particulières que ce fils de mandarin (fonctionnaire de l’ancienne royauté) découvre le violon et l’écriture musicale. Dans l’idée d’enseigner lui-même au retour, il poursuit sa formation à Paris, en 1958, avec une maigre connaissance de l’essence occidentale – à peine Bach, Mozart et Debussy. Au contact des autres élèves, Tôn-Thât Tiêt mesure les lacunes qu’il s’évertue à combler, dans les classes de composition de Jean Rivier (1962-1966) et d’André Jolivet (1966-1967) – « un esprit raffiné et curieux », dirait de lui ce dernier (in Tôn-Thât Tiêt – Dialogue avec la nature, Cigart, 2010) [lire notre critique de l’ouvrage].

Cet enregistrement propose des pièces chambristes conçues durant près d’un demi-siècle, entre 1967 et 2016, du solo au trio, avec Marine Perez (flûte), Pauline Bartissol (violoncelle) et Frédérique Cambreling (harpe). Les premières œuvres du Vietnamien sont jouées en 1966 qui, durant dix ans, balancent entre deux influences : école sérielle et école de Varsovie. Dans Incarnations structurales (1970), Laurence Bancaud relève également une inspiration des formes anciennes de l’Inde (notice). Ces quatre mouvements, qui réunissent tous les membres du Trio Salzedo, révèle une grande puissance expressive qui intègre sans heurt des moments contemplatifs, voire méditatifs, souvent présents dans le programme. Conçu pour harpe, Chu ky III (1977) appartient à un projet de sept pages élaborées entre 1976 et 1993 dont le titre fait référence à la loi cyclique qui, dans l’hindouisme, régit l’univers. Une résonnance éthérée ouvre la pièce qui offre ensuite des instants plus toniques : présence campanaire, ruissèlements, etc.

À son tour, la pensée bouddhiste irrigue un opus pour flûte et harpe. Son titre, Thuy Lâm…, Vô (1981/1993), reprend les mots-clés d’un vers du Prince Tung Thien Vuong (1819-1870) évoquant sa propre mort. L’ambiguïté d’une langue ancienne peut donner deux traductions à la phrase d’origine : soit Après ma mort restera le paysage, soit L’homme existe et n’existe pas. Là encore, mêlant méditation et tendre animation,Tôn-Thât Tiêt retient l’écoute par le mystère. Alors que le cycle Chu ky est en voie d’achèvement, un autre commence avec The Endless murmuring I (1993) pour violoncelle et harpe, en hommage à ce même Pierre Jamet (1893-1991) qui enseigna à Frédérique Cambreling. Parfois lancinante, la tension y est récurrente, mais jamais brutale.

Abordons le siècle nouveau, avec les deux derniers soli de l’album… et deux nouvelles disparitions. Le Tombeau de Christian Lardé (2013) salue un flûtiste émérite (1930-2012), par ailleurs gendre du harpiste qui vient d’être évoqué. Largement sereines, les cinq minutes de cette page recèlent un chantonnement et des volètements sans âpreté. Pour sa part, Mémoire des sons (2016) célèbre Henri Dutilleux (1916-2013) au moyen des notes ré (D qu’on retrouve en initiale) et la (que le Yi King associe à l’élément Bois, à l’Est et au Printemps). Le titre fait référence à un livre d’entretiens avec Claude Glayman offert et dédicacé par l’aîné, souvent visité par notre compositeur en sa rue Saint-Louis-en-l’Île. Une nouvelle fois, la délicatesse et un certain minimalisme sont au rendez-vous de ce solo en trois parties.

Après la sortie de ce CD que nos colonnes annonçaient [lire notre chronique du 1er octobre 2019], Tôn-Thât Tiêt est l’invité d’honneur du festival Aspects des musiques d’aujourd’hui (Caen), du 23 au 28 mars 2021 : raison de plus pour espérer l’amélioration de la crise politique dans l’Hexagone, au fil des prochaines semaines.

LB