Chroniques

par laurent bergnach

Sofia Goubaïdoulina
pièces avec accordéon

1 CD Et’cetera (2011)
KTC 1433
La spiritualité de Sofia Goubaïdoulina par l'accordéonniste Iñaki Alberdi

Née à Christopol en 1931, dans une république qu’on nomme aujourd'hui Tatarstan, Sofia Asgatovna Goubaïdoulina passe son enfance à Kazan, la capitale où vit le jour Chaliapine, un demi-siècle plus tôt. Elle commence le piano à cinq ans et compose sa première pièce à l’âge de douze. Adolescente, elle entre au conservatoire de Moscou pour y étudier avec Nikolaï Peiko et Vissarion Chebaline – deux anciens élèves de Nikolaï Miaskovski (1881-1950). En 1963, elle y obtient son diplôme de fin d'études, face à un jury inquiet de ses choix esthétiques auquel appartient Chostakovitch, lequel l’encourage d’une pirouette – « Je veux que vous progressiez le long de votre chemin d'erreur ».

Soucieuse d’originalité et d’expériences (improvisation, sérialisme, électroacoustique, etc.), la jeune femme répugne à suivre le courant officiel et compose pour le cinéma, secteur moins surveillé par l’Union des compositeurs – organe de contrôle mis en place par Staline, en 1932 [lire notre critique de l’ouvrage Le destin russe et la musique]. En secret, elle développe une écriture personnelle découverte à l’Ouest du Rideau de fer dans les années soixante-dix. Alors associée à l’avant-garde (Schnittke, Denissov, Silvestrov, etc.), Goubaïdoulina façonne une œuvre abondante et variée dominée par le rituel, le mysticisme ou le symbolisme chrétien – à l’instar d’Offertorium (1981/1986), concerto pour violon qui lui assure une reconnaissance internationale, en amont de son installation en Allemagne (1992) [lire notre chronique du 25 juin 2009].

Conçu autour d’un accordéon classique joué par Iñaki Alberdi – mais l’usage du bayan slave est bien sûr encouragé ! –, ce programme met à nouveau en avant la spiritualité qui compte tant aux yeux de la créatrice. De ce regard sur l’être vivant pris entre la joie d’exister et la responsabilité que sous-tend cette existence a éclos Sieben Worte (Moscou, 1982), qui fait référence à la mort du Christ rédempteur. Jouxtant l’instrument à vent porteur d’une souffrance explicite (essoufflement, épuisement, suffocation), le violoncelle solo et un ensemble à cordes – portion de l’Orchestre national Basque dirigée par José Ramón Encinar – soulignent l’agonie douloureuse mais aussi son apaisement, par des envolées lumineuses pleines d’espoir.

Appelant un orgue à l’origine, In croce (Kazan, 1979 / Hanovre, 1991) est une pièce d’un quart d’heure intimement liée à la précédente, de par sa thématique religieuse mais surtout le croisement de deux instruments de nature différente. Globalement sereine, cette page glisse d’un foisonnement folâtre à un dénuement introspectif, porté par le talentueux violoncelliste Asier Polo. Il revient à Iñaki Alberdi de clore le programme, d’abord avec Kadenza (2010), née sous ses doigts à San Sebastián, à partir de la cadence d’Im Zeichen des Skorpions (Stockholm, 2003), puis avec la sonate en cinq mouvements Et exspecto, composée au milieu des années quatre-vingt.

LB