Chroniques

par laurent bergnach

récital Vienne 1900
Berg – Korngold – Mahler – Schönberg – Zemlinsky

2 CD Alpha (2020)
588
Cinq musiciens jouent Berg, Korngold, Mahler, Schönberg et Zemlinsky

Cinq compositeurs d’une « école de Vienne élargie » – pour reprendre l’expression de Nicolas Southon dans la notice –, voici ce que proposent aujourd’hui cinq musiciens aimant s’exprimer en petite formation : Daishin Kashimoto (violon), Éric Le Sage (piano), Paul Meyer (clarinette), Emmanuel Pahud (flûte) et Zvi Plesser (violoncelle) – pour certains à l’origine du Festival international de musique de chambre de Salon de Provence qui fêtera ses vingt ans en 2023.

La fin de l’année 1910 marque pour Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) d’importantes rencontres avec le public : le 4 novembre, le ballet-pantomime Der Schneemann est créé dans la capitale impériale tandis que son véritable premier opus, le Trio avec piano Op.1, voit le jour à Munich un mois plus tard, le 4 décembre. Dédiée à son père Julius (Meinem lieben Papa gewidmet), cette œuvre en quatre mouvements trahit plusieurs influences, notamment celles de Strauss et Brahms. Comment pourrait-il en être autrement puisque son auteur, musicien précoce, est encore au seuil de la puberté ? Beaucoup de passages impulsifs sont rendus avec une véhémence idéale, mais le plaisir est gâché par un violon souvent acide, parfois trop sec, en rupture avec le climat général, tendre et chatoyant.

Tout génial qu’il est, le jeune garçon ne peut se dispenser d’une formation technique. Il la trouve auprès d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942), « ce professeur fascinant, d’une fabuleuse musicalité » qui lui garantit « un apprentissage stimulant, libre de tout embarras » (in Nicolas Derny, Erich Wolfgang Korngold, Éditions Papillon, 2008). C’est durant sa propre jeunesse, lui aussi, que le futur concepteur de Der König Kandaules [lire notre critique du CD] écrit un Trio avec clarinette en ré mineur Op.3 (1896), inspiré par le romantisme brahmsien. Une clarinette nuancée domine dans trois mouvements d’un intérêt variable.

Ayant peu de temps pour composer, Gustav Mahler (1860-1911) s’est consacré à des symphonies plutôt qu’à la musique de chambre. Il rejoint ce programme grâce à deux Lieder transcrits pour flûte et piano par Ronald Kornfeil, avec le concours d’Emmanuel Pahud. Il s’agit de Rheinlegendchen (Des Knaben Wunderhorn, recueil de douze titres publié en 1899) et d’Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen (Kindertotenlieder, recueil de cinq titres publié en 1905). Le premier s’avère plein de fraîcheur et d’une grâce inattendue.

Le 24 avril 1911, on donne un concert des élèves de Schönberg, à la suite duquel ce dernier est désigné comme « le chef des cacophonistes viennois » par un critique oublié depuis (in Alban Berg, Écrits, Bourgois, 1985). La Sonate pour piano Op.1 d’Alban Berg (1885-1935) y voit le jour – entendue à Paris dès l’année suivante. Éric Le Sage la joue avec lyrisme et nervosité, sans viser à la rendre radicale. Saluons son art de la nuance, vivant autant qu’inventif. Toujours à Vienne est créé Quatre pièces pour clarinette et piano Op.5 (1919), ensemble de pages brèves qui pourrait, selon Adorno, former une sorte d’opéra miniature – intériorité et espièglerie semblent jouer à cache-cache, selon nous. Enfin, l’Adagio extrait du Kammerkonzert (1927) résonne ici dans une transcription pour clarinette, violon et piano (1935) de son auteur.

Autre ouvrage qui secoua le XXe siècle naissant : la Kammersinfonie Op.9 n°1 (1907), assez marquante pour qu’Arnold Schönberg l’ait ensuite adaptée pour grand orchestre (1914), Webern pour quintette, dans le but d’accompagner une présentation de Pierrot lunaire (1912), et Berg pour piano à quatre mains, afin d’en mieux saisir les subtilités – « c’est une véritable borne indicatrice de la musique, valable pour toute une génération », écrirait-il (ibid.). Le programme s’achève donc avec les cinq artistes réunis pour la première fois dans un Vienne 1900 qui célèbre les héritages.

LB