Chroniques

par laurent bergnach

récital Victoire Bunel
Chausson – Fauré – Séverac

1 CD Initiale (2019)
INL 02
Le mezzo-soprano Victoire Bunel chante Chausson, Fauré et Séverac

Diplômée du CNSMD de Paris en juin 2018, Victoire Bunel avait débuté une formation principalement parisienne à la Maîtrise de Radio France, puis au Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs. Aujourd’hui, elle enregistre son premier récital – pour Initiale, le label du Conservatoire –, qui célèbre la musique française avec des mélodies signées Gabriel Fauré (1845-1924), Ernest Chausson (1855-1899) et Déodat de Séverac (1872-1921). En 1913, ce dernier écrivait à René de Castéra, son condisciple à la Schola Cantorum : « je ne peux pas enfanter dans la douleur. Si je suis triste, si le soleil est absent de mon ciel, je suis foutu » (cf. la biographie signée Catherine Buser Picard, Éditions Papillon, 2007) [lire notre critique de l’ouvrage]. Effectivement, le Languedocien élevé au cœur de la nature n’a pu trouver dans la capitale ce qui fit de lui le Chantre du Midi – à l’exception de nombreux écrivains dont les vers lui plurent (notamment les deux Maurice, Maeterlinck et Magre).

Cinq de ses mélodies ouvrent le programme. La plus ancienne, Paysages tristes – Soleils couchants (1898) témoigne, selon la musicologue citée plus haut, d’une passion pour le chant grégorien, et d’un art de sublimer la désolation du texte de Verlaine par une austérité sonore. La même année, il s’intéresse aux Hiboux de Baudelaire (1898/1911), révisé une décennie plus tard. En 1901, deux mélodies voient le jour : Un rêve, inspiré par une traduction mallarméenne d’Edgar Allan Poe, et Le ciel est, par-dessus le toit où l’on retrouve Verlaine. Enfin, issu du cycle Flors d’Occitania (1917), voici la douloureuse Chanson pour le petit cheval (1910) dont le poème original de Prosper Estieu est en langue d’oc. Si la voix chaleureuse et limpide du mezzo-soprano aux aigus faciles séduit d’emblée dans ces pages, on est aussi sensible au jeu de Sarah Ristorcelli. Sous ses doigts, le piano est tour à tour sensuel, bondissant ou d’une mélancolie profonde qui rappelle Duparc.

Le 28 septembre 1906, Fauré écrit à Henri Heugel, son éditeur transitoire entre Hamelle et Durand : « j’ai le grand plaisir de vous adresser aujourd’hui, en un rouleau recommandé, deux mélodies, dont une très développée, dont j’ai emprunté les vers à La chanson d’Èvede Van Lerberghe » (in Correspondance, Fayard, 2015) [lire notre critique de l’ouvrage]. À Crépuscule, déjà composé en juin à partir du même recueil du symboliste belge, l’auteur de Pénélope ajoute donc Paradis et Prima verba. Ce qui deviendrait un cycle de dix mélodies est complété par Roses ardentes et L’aube blanche (juin 1908), par Comme Dieu rayonne et Eau vivante (entendues en mai 1909, salle Érard), puis par Veilles-tu, ma senteur de soleil et Ô mort, poussières d’étoiles (décembre 1909). L’opus 95 au complet est créé par Jeanne Raunay et l’auteur durant le concert inaugural de la Société musicale indépendante, à l’instar de Ma mère l’Oye (Ravel), le 20 avril 1910.

Dans ces pièces aux ruptures harmoniques déjà proches du Fauré tardif, on apprécie chez la pianiste une plénitude toujours discrète, une présence jamais invasive, en particulier dans le fort long Paradis (plus de six minutes) qui permet de goûter l’alternance entre chatoiement et hiératisme. La chanteuse continue de ravir l’oreille grâce à une diction qui paraît naturelle, claire sans être appliquée. Dans Chanson perpétuelle (1899), la page familière de Chausson qui clôt le disque dans un lyrisme dolent canalisé par le Quatuor Elmire, Victoire Bunel apporte fraîcheur et générosité, effaçant le souvenir de versions flasques et compassées.

LB