Chroniques

par laurent bergnach

récital Trio Catch
Andre – Aperghis – Donatoni – Feldman – Furrer – etc.

1 CD col legno (2014)
WWE 20424
Le Trio Catch joue neuf pièces de contemporains (Aperghis, Furrer, Illès, etc.)

Réunies par leurs études à Francfort (Internationale Ensemble Modern Akademie), Boglárka Pecze (clarinette), Eva Boesch (violoncelle) et Sun-Young Nam (piano) ont fondé le Trio Catch, lequel tire son nom du quatrième opus de Thomas Adès. Très tôt, la formation hambourgeoise a collaboré avec les compositeurs, dont certains sont réunis sur leur premier disque. Contrairement à nos habitudes, nous détaillons ce programme sans tenir compte de la chronologie ni de l’ordre alphabétique des inventeurs en question, mais en suivant leur apparition.

Georges Aperghis (né en 1945) s’impose tout d’abord avec Trio (Paris, 1998), qu’Accroche Note créa à la Maison de Radio France. S’y distinguent neuf parties où affleurent le goût pour la voix humaine du créateur de Récitations [lire nos critiques des CD col legno et Umlaut]. Ainsi la pièce raffine-t-elle les coups de gueule initiaux jusqu’aux gazouillis de la fin, devenant lazzi, babil, etc. De brèves sections relient ces épisodes, cadences solistiques ou interludes, qui doivent être joués « comme un récitatif ».

Parmi les quelques pièces pour trio de Beat Furrer (né en 1954), Aer (Martigny, 1991) est parmi les plus jouées. Elle renvoie aux philosophes présocratiques pour qui l’air est la substance fondamentale de toute chose (« Dilué, il devient feu, densifié vent, puis nuage, densifié encore plus fortement eau, puis terre, puis pierre ») [lire notre critique du CD Musiques Suisses]. Rythmé par les tremolos d’une clarinette presque atone, saupoudré de quelques coups sur le corps du piano, Aer séduit par l’agilité des interprètes à rendre une agitation sans répit.

Déjà présente dans nos colonnes par le passé [lire notre chronique du 9 juin 2006], Younghi Pagh-Paan (née en 1945) demeure la moins connue du programme. Ses études débutées à Séoul, la Coréenne les poursuit à Fribourg dans la seconde moitié des années soixante-dix, avec Huber et Ferneyhough, avant d’acquérir une réputation internationale de passerelle entre Orient et Occident. La poésie de Gottfried Keller lui inspire un cycle dont la deuxième partie, Silbersaiten II (Mannheim, 2010), s’avère tendrement animée, émaillée d’accords expressifs, mais aussi d’un faible intérêt.

À l’inverse mémorables quoique fragmentaires, Cerocchi 70 et Elly (1998) témoignent du langage incantatoire et obsessionnel de Franco Donatoni (1927-2000), avant que le Trio Catch n’entame Trois clarinettes, violoncelle et piano (Londres, 1972), signé Morton Feldman (1926-1987). Cette page méditative, d’où semble sourdre l’écho d’un orgue, illustre un souhait du New Yorkais : « maintenir le temps en suspens » et, de fait, « dérouter la mémoire de l’auditeur » (dixit Philip Gareau) [lire notre critique de l’ouvrage]. Sabine Meyer et Reiner Wehle y rejoignent les artistes vedettes.

Traduisible par Dessins III, Rajzok III (Witten, 2013) propose une énergie qui tend vers le dépouillement – nudité bousculée par une péroraison de l’instrument à vent, peu avant la fin. Le Hongrois Márton Illés (né en 1975) [lire nos chroniques du 22 mars 2009, du 22 octobre 2017, enfin des 13 février et 8 juillet 2019] y instille un côté spectral, voire psychédélique, par l’usage d’un piano hybride, soit l’association d’un grand piano et d’un clavier accordé au quart de ton supérieur. La clarinette s’amuse à prendre des accents de consœurs (saxophone, flûte) ou d’autres plus surprenants encore (appeau, éléphant). On aime cette pièce, ainsi que l’intemporel In nomine VI qui suit, adaptation de John Bull (1563-1628).

Terminons avec Mark Andre (né en 1964), lequel affectionne les titres brefs. … Als… I (Witten, 2001) s’inspire du huitième chapitre de l’Apocalypse de Jean, plus précisément des mots qui l’introduisent : « Et quand l’Agneau eut ouvert le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d’environ une demi-heure ». Durant une minute, le piano percussif et très résonnant prépare ce qu’on imagine un volcan qui mijote avant l’éruption. Mais ce quart d’heure finit par piétiner, offrant une conclusion assez terne à un récital joué avec une grande maîtrise.

LB