Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Melody Louledjian
Boulanger – Buxeuil – Honegger – Milhaud – Satie – Wiéner

1 CD Aparté (2020)
AP 230
Melody Louledjian chante les fleurs, accompagnée par Antoine Palloc

Enregistré au bord du Léman, ce récital réunit six compositeurs à former bouquet, toutes saisons confondues. Si les styles divergent, une unité de ton, voire de climat, caractérise cet album thématique dont la pièce maîtresse est signée Jean Wiéner. Conjuguant des atours néoclassiques à une gouaille de caf’conc’, ses Chantefleurs font d’emblée plonger dans l’inspiration toujours changeante de Robert Desnos. Question de goût, c’est dans les poèmes du surréaliste résistant – à l’occupant comme à l’esthète liberticide de ce mouvement – et par la belle approche des interprètes que l’on trouve son plaisir, plus qu’à la verve du célèbre stakhanoviste du cinématographe. Encore goûte-t-on le lyrisme ô combien renseigné d’Alain Duault qui, à travers une notice foisonnante, emporte le lecteur tenu en haleine.

Au fil des cinquante miniatures à former recueil, Melody Louledjian choisit les moyens expressifs requis, mettant à leur service un art soigneusement cultivé, un timbre attachant et une souplesse remarquable de l’émission. Fréquentant régulièrement le répertoire français dans lequel sa voix fait florès [lire, par exemple, nos chroniques de La demoiselle élue, Carmen et Trois contes], l’artiste fait montre d’une diction exemplaire dont use adroitement l’esprit taquin qu’elle y invite. Voilà bien de quoi révéler les caractères qui lorgnent tour à tour vers le ru baroque (Le bluet, Le chèvrefeuille, L’edelweiss et La sensitive), la fausse comptine folklorique (Le coquelicot, La fleur de pommier, Le genêt, La giroflée ravélienne, L’hortensia, Le jasmin dont l’espagnolade se souvient d’Ibert, La lavande, La violette ou encore L’églantine, L’aubépine et la glycine avec son clin d’œil à La Marseillaise), la mélodie souvent proche de Poulenc (Le bégonia, La belle de nuit, Le camélia et la dahlia, La jacinthe, Le lilas, La marjolaine et la verveine, Le perce-neige, Le réséda, Le seringa et Le soleil) ou plus classique (La gardénia, Le lotus, Le myosotis, L’orchidée et la pensée ainsi que La rose), quand ce ne sont récitatifs où volontiers s’invitent un rien de blues (Le géranium, L’iris, Le narcisse et la jonquille, Le souci, La véronique) ou d’opéra (La digitale). Encore prendra-t-on comme marques de fabrique du pot-pourri wiénerien une certaine veine exotique (Le bouton d’or, La capucine, Le glaïeul), la danse et le bal (L’angélique, La fleur d’oranger, La marguerite, enfin le quatuor Le lis, l’amaryllis, le volubilis et la mélisse, sans oublier ce je-ne-sais-quoi de Satie dans la valse du Cyclamen), une tendance glamour-jazzy (Le coucou, Le mimosa, La pivoine, La renoncule ainsi que le duo La pervenche et la primevère puis le trio Le rhododendron, l’œillet et le lilas), flirtant même avec Kurt Weill dans La tulipe, en parodie d’hymne sans-culotte. Dans le pianiste Antoine Palloc l’humour du texte et de la chanteuse [lire nos chroniques de L’Instant de l’eau, Cavalleria rusticana, Boris Godounov et Le nozze di Figaro] gagne un complice précieux.

Plutôt que la bluette de René de Buxeuil (L’âme des roses), pourtant donnée non sans grâce, c’est Deux ancolies de Lili Boulanger qui retient fermement l’écoute par son inquiétant balancement postromantique, très fauréen, de même que l’intrigante hésitation harmonique des Fleurs d’Erik Satie. Écrit en 1917, Nature morte d’Arthur Honegger ne rompt pas encore tout à fait avec l’héritage debussyste. Piano et voix y déploient un puissant pouvoir d’évocation.

Outre ces pages isolées, la gravure subtilement parfumée qu’édite Aparté présente Catalogue de fleurs Op.60, cycle de sept mélodies conçu par Darius Milhaud en 1920, sur des poèmes descriptifs assez pauvres de Lucien Daudet – le miracle est dans la partition ! Aussi ne se lasse-t-on pas de l’alanguissement du Bégonia, de la sensualité fiévreuse du Brachycome, du pas frileux et discrètement brésilien des Crocus, de l’énigmatique errance pianistique de L’eremurus, des fluides miroitements des Fritillaires, de la danse un brin dissonante des Jacinthes et des frais méandres de La violette. Ce CD au programme pertinent jouit d’innombrables charmes que l’auditeur visite avec avantage.

BB