Chroniques

par laurent bergnach

récital Maria Sournatcheva
Eshpai – Kikta – Rubtsov

1 SACD MDG (2016)
901 1947-6

Pratiquant le hautbois depuis l’âge de huit ans – un instrument préféré au piano et à la flûte –, Maria Sournatcheva (née en 1988) est une artiste prometteuse à qui font appel de nombreuses formations (Elzer Staatsorchester, Orchester Musikkollegium Winterthur, etc.). Pour son premier enregistrement sous label MDG, avec Christoph-Mathias Mueller à la tête du Göttinger Symphonie Orchester, l’Allemande d’adoption souhaite mieux faire connaître le répertoire russe pour hautbois et orchestre du XXe siècle, à travers trois créateurs nés entre 1925 et 1982. « J’ai personnellement rencontré chacun des compositeurs, précise-t-elle. Je souhaitais réfléchir à ce qui se trouvait véritablement en toile de fond ».

L’aîné se nomme Andreï Yakovlevitch Eshpaï (1925-2015). Ancien élève de l’Institut Gnessine (de 1934 à 1941), c’est au conservatoire de Moscou (de 1948 à 1953) qu’il étudie le piano avec Vladimir Sofronitski [lire notre critique du CD] et la composition avec Nikolaï Rakov, Nikolaï Miaskovski et Evgueni Goloubev. Notons aussi, entre 1953 et 1958, l’enseignement d’Aram Khatchatourian, l’auteur de Spartacus, [lire notre critique du DVD]. De même que son père Yakov (1890-1963) collectant les chants traditionnels, Eshpai explore le folklore des Maris (ou Tchérémisses), peuple finno-ougrien auquel il appartient. Si la Seconde Guerre mondiale, vécue au front, influence aussi son travail, on n’en trouve guère la trace dans son Concerto pour hautbois et orchestre (Moscou, 1984), à l’inverse d’éléments empruntés à la musique populaire et au jazz. On y sent aussi la volonté d’être simple et sans prétention.

Pour sa part, l’Ukrainien Valeri Kikta (né en 1941) fréquente le conservatoire de Moscou où Semyon Bogatyryov et Tikhon Khrennikov furent ses professeurs. Il livre ensuite nombre de ballets (1963, etc.), concerti pour piano (1965, etc.), suites pour orgue (1966, etc.), sonates pour harpe (1980, etc.), dont le catalogue Μелодия rend compte en abondance. Dans les années soixante-dix, il aime concevoir pour cuivres, puis pour bois – Concerto pour treize trompettes (1971), Concerto pour tuba (1974), Sonates pour basson et piano n°1 (1977) et n°2 (1979). Il laisse passer une décennie avant de choisir le hautbois pour les Concerto n°1 « Belgorod » (1991), Concerto n°2 « Pétersbourg » (1996) et Concerto n°3 (2001).

Le Premier est une version symphonique d’une pièce conçue pour hautbois et instruments folkloriques russes (domra, chalumeau, cuillères, etc.), une formation bien implantée dans la vie du pays depuis la révolution d’Octobre. Une mélopée entêtante du soliste, citation d’un air rituel de printemps (vesnyanka), ouvre et ferme le mouvement unique, lequel séduit par sa richesse timbrique, une atmosphère mystique et païenne agitée de cloches et de danses tournoyantes. On pense à Stravinsky, à Messiaen. En revanche, reposant sur un orchestre à cordes, le Troisième déçoit notre attente par son usage de vieilles recettes sentimentales, dignes d’une série historique surannée. À peine sauve-t-on le rondo final, Un bal masqué, pour son énergie orientalisante, façon Aladdin (Nielsen, 1919).

Compositeur, chef d’orchestre et hautboïste, Andreï Rubtsov (né à Moscou en 1982) représente la nouvelle génération. Il est lui aussi passé par le conservatoire de sa ville natale, puis s’est perfectionné au Royal College of Music (Londres). Comme l’écrit Inna Klauze dans la notice du disque, son Concerto pour hautbois et cordes (2003) combine « les connaissances d’un interprète maîtrisant parfaitement les possibilités de son instrument avec un style d’écriture néoclassique se situant dans la tradition russe ». Hélas, comme pour le Concerto n°3 de Kikta, c’est la virtuosité de la soliste qui impressionne, plus que la composition elle-même. Là encore, sauvons un unique mouvement : Rondo (Allegro), pour son élégance joviale qui rêve parfois d’Espagne.

LB