Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Henrike Brüggen et Marie Radauer-Plank
Beethoven – Rudolf Habsburg von Österreich – Voříšek

1 CD Audax Records (2021)
ADX 13727
Trois sonates par Marie Radauer-Plank (violon) et Henrike Brüggen (piano)

En septembre 2019 – temps qu’a posteriori de la crise sanitaire et politique qui depuis traverse les États du monde l’on dira d’innocence –, deux musiciennes tant inspirées que sainement curieuses s’enfermaient avec une équipe dans la fameuse Jesus Christus Kirche de Dahlem, en banlieue ouest de Berlin : inauguré en 1932, l’édifice conçu par Jürgen Bachmann en 1929 est vite devenu célèbre pour son acoustique exceptionnelle, génialement travaillée par le physicien, facteur d’orgues et de cloches Johannes Biehle qui sut faire des contraintes de l’église des avantages, au point qu’en sus des nombreux concerts à y être donnés dès sa restauration d’après la guerre, les plus prestigieuses formations musicales du territoire l’ont durablement élue studio d’enregistrement. La Salzbourgeoise Marie Radauer-Plank s’exprime sur un Amati de 1746, un Steinway d’aujourd’hui, sous les doigts de l’Allemande Henrike Brüggen, accompagnant ici le précieux violon bolognais.

Dans cette galette, les excellentes artistes de Duo Brüggen-Plank se penchent sur la constellation musicale particulière autour de Rodolphe de Habsbourg. Frère cadet de l’empereur François Ier, l’archiduc, par ailleurs archevêque d’Olomouc (la capitale morave) dès 1806 avant d’être élevé au rang de cardinal par le pape Chiaramonti en 1819 (à trente-et-un ans), est un défenseur des arts. Il joue lui-même du piano, et plutôt bien, à en croire les dédicaces de son professeur Ludwig van Beethoven. Autour de la Sonate en sol majeur Op.96 n°10 du Grand Sourd, ce programme réunit deux opus d’une absolue rareté : la Sonate en fa mineur écrite par le prince autrichien lui-même et la Sonate en sol majeur Op.5 dédiée à celui-ci par le jeune Jan Hugo Voříšek en 1819 – on pourrait dire l’éternellement jeune, puisqu’il mourut à l’âge de trente-quatre ans (1825).

Après un bref Largo introductif, dolce cependant contrasté, l’Allegro moderato de la sonate de Voříšek affirme un caractère résolu où s’invitent quelques discrètes tentations de romance, ce qui n’échappe pas à l’archet subtil de Marie Radauer-Plank, quand Henrike Brüggen favorise une sonorité plutôt mozartienne dans une écriture héritée d’Haydn et de Beethoven. Du Scherzo galopant (Allegro molto), le Trio chante plaisamment, entre Lied schubertien et aria de Mozart. La Coda surprend par son accent schumanien avant l’heure. Indiqué avec expressivité, l’Andante sostenuto est une halte courte et heureuse avant le grand Finale virtuose et fiévreux (Allegro molto), fort volontaire.

Accusant à raison une dynamique assez tranchée, les interprètes abordent l’Allegro de celle de l’archiduc Rodolphe avec une verve joueuse et triomphante dont convainc la fraîcheur. À la tendresse flatteuse de l’Adagio, d’une simplicité humble, pour ainsi dire, succède un Menuetto tournoyant que traverse une passagère mélancolie, fort bien rendue, à la conclusion élégamment troussée. Modestement brillant, le dernier épisode, Allegro quasi presto, invite une certaine inquiétude en ses lignes où, par-delà l’aspect formel, souffle une brise romantique.

À son jeune et bienveillant mécène évêque et prince, plutôt qu’au violoniste comme l’usage l’aurait voulu, Beethoven offre, en 1812, sa dixième sonate pour violon et piano. Avec elle, nous voici en terrain connu, ce qui permet de mieux appréhender encoreles qualités de la lecture par le Duo Brüggen-Plank qui déjà charmait l’écoute. La grâce est bien au rendez-vous du vaste Allegro moderato où l’on perçoit un je-ne-sais-quoi d’humour, bien venu. Et cet esprit-là semble prendre son plaisir dans l’inventivité de chaque nuance, comme dans le mystère avec lequel il investit la modulation – ainsi du final, splendide. Le piano de Henrike Brüggen gagne à l’Adagio espressivo un phrasé choral qui prélude au chant violonistique sereinement porté. Le très bref Scherzo bénéficie de l’éclat nécessaire, menant aux toniques variations de l’aimable Poco allegretto où l’on retrouve l’appréciable inventivité des musiciennes. Une réussite, donc !

BB