Chroniques

par michel slama

récital Gwyneth Jones
Beethoven – Cherubini – Verdi – Wagner

1 CD Decca (2005)
475 6412
récital Gwyneth Jones | Beethoven – Cherubini – Verdi – Wagner

Avec la seconde livraison de sa collection Classic Recitals, Decca propose un document inestimable : le premier récital de Gwyneth Jones, enregistré à Vienne en 1966. Pour beaucoup de nos lecteurs qui l'auraient, hélas, connue trop tard, Gwyneth Jones demeure cette interprète de talent, douée d'une grande sensibilité et d'un charisme immédiat, mais aussi d'un vibrato lourd et d'une instabilité vocale proprement insupportable…

Ici, le soprano gallois n'a pas trente ans et se trouve à l'aube d'une carrière fabuleuse qui la conduira sur les plus grandes scènes mondiales, en particulier Vienne, Milan, Paris, Londres, Munich, San Francisco, New York et bien sûr Bayreuth. Celle qui débuta mezzo-soprano dans Orfeo de Gluck, à Zurich en 1962, se trouva irrésistiblement attirée par Wagner et l'opéra allemand (Fidelio, 1965). Dès 1966, elle incarne des Sieglinde, Senta, ou Kundry mémorables à Vienne et à Bayreuth. Pour Tannhäuser, elle ira même jusqu'à interpréter les rôles de Vénus et d'Elisabeth au cours de la même représentation. Le Ring de 1975 la distribua dans les trois Brünnhilde et sa prestation sera immortalisée dans la légendaire production de Patrice Chéreau avec Pierre Boulez au pupitre, disponible en DVD. Les grands rôles se succédèrent alors avec une frénésie et un succès jamais démentis, malgré une usure prématurée de la voix : Leonora du Trouvère, Médée, Donna Anna (1973), Octavian, puis la Maréchale (1977), Poppée (1978), Tosca et Salomé (1982), Elektra (1983), Isolde et Turandot (1985). En fin de carrière, elle abordera entre autres La Voix humaine de Poulenc et l'Ortrud de Lohengrin.

Revenons à cet enregistrement légendaire : pas une trace de ce vibrato qui deviendra au fil des ans son handicap, pas de voix brisée par l'imprudence incandescente de la scène, pas de hurlement à la limite du tolérable ; bien au contraire, malgré un programme d'héroïnes torturées, une voix souple et rayonnante. Faites le test, en aveugle, à une personne qui connaît Gwyneth Jones, il ne pourra pas imaginer une seconde à qui il a affaire et pensera plus à une Gundula Janowitz qu'à notre Galloise !

Le programme la propose dans ses rôles de prédilection du moment : trois Leonora (Fidelio, Trouvère et Force du Destin), Medea, Senta (Vaisseau fantôme), et l'air de concert de Beethoven Ah ! perfido Op.65. Malgré un italien à la prononciation difficile (Medea), elle sait caractériser ses héroïnes de façon saisissante et avec une parfaite maîtrise des diverses tessitures exigées. À cette époque, elle n'a pas de rivales : elle allie émotion, tendresse, implication et souffle aux difficultés vocales les plus complexes. Elle possède tous les moyens artistiques et vocaux de ces rôles. C'est peut-être la raison pour laquelle elle pourra apparaître ici un peu moins engagée qu'à l'accoutumée, la chanteuse n'ayant pas encore cédé à la bête de scène. Se détachent nettement les extraits allemands avec un Fidelio et une Senta à vous tirer les larmes, sans compter un Ah ! perfido dramatique, exceptionnel de justesse, alternant colère et tendresse, un must indispensable !

L'ombre de Callas planant trop sur le rôle de Médée qu'elle immortalisa, on préférera retenir un superbe D'amor sull'ali rosee sans aucune aspérités ni vibrato pathétique, et un Pace, mio Dio pas très italien, mais à la longue respiration élégiaque et aux cris fatalita pleins de cette détresse humaine que la cantatrice savait si bien incarner. À ne manquer sous aucun prétexte !

MS