Chroniques

par laurent bergnach

récital Fin’Amor
Bonaval – Codax – Raimondo – Santiago

1 CD Musica Ficta (2004)
MF 8002
récital Fin’Amor | Bonaval – Codax – Raimondo – Santiago

Le XIIe siècle occidental voit naître un nouvel art de vivre et de nouveaux rapports sociaux qui vont perdurer entrer l'homme et la femme. La fin'amor, ou l'amour courtois, a pour ambassadeurs les troubadours, ces compositeurs qui vont durant deux siècles fréquenter les cours laïques du Midi, chantant l'amour profane en langue vulgaire. Si cette nouvelle conception amoureuse – qui résonnera jusque dans le romantisme – gagne peu à peu le Nord de l'Europe, elle s'introduit également en Espagne, profitant des chemins de pèlerinage dont celui de Saint-Jacques de Compostelle, le plus fréquenté. La rencontre des artistes du Nord avec les poètes, les jongleurs de Galice donne naissance à une nouvelle tradition du nom de la langue locale : la lyrique gallégo-portugaise.

Plusieurs genres de chants se distinguent dans cette production : la cantiga de amor (l'amour sublimé de la dame inaccessible), la cantiga de escarnio e maldizer (chanson satirique à contenu politique) et la cantiga de amigo, à laquelle est consacrée cet enregistrement. Les sept chansons de Martin Codax – dont on sait peu, si ce n'est qu'il fut jongleur – en constituent la partie la plus importante et prennent la forme d'un cycle : une jeune fille se lamente face à la mer, dans la ville portuaire de Vigo. Tour à tour, elle souffre de l'absence de son aimé ou se réjouit en songeant à son proche retour. Le sixième de ces morceaux, Eno sagrado en Vigo, nous étant arrivé sans musique, l'ensemble Fin'Amor a eu recours à l'improvisation, en accord avec les habitudes de l'époque. Le chant de Carole Matras a beaucoup de présence, mais la partition l'oblige à une langueur haut perchée qui peut lasser. Il est à remarquer l'importance des ouvertures instrumentales et la mélancolie proche du recueillement qui parcourt en partie ce cycle.

Trois autres œuvres du XIIIe siècle, plus rythmées, complètent ce disque : Amigo, se ben ajades d’Estêvão Raimondo (Mon guide et mon ami / pourquoi ne vivons-nous ensemble) mais aussi deux instrumentaux, Quand'eu vejo las ondas du roi Fernandez de Santiago, pour vièle – Thomas Baeté –, et Fremosa a deus grado de Bernal de Bonaval, étonnant duo oriental entre un oud et un daraboukka – Michaël Grébil et Vincent Libert.

Un livret passionnant de Bernard Mouton détaille les soucis de transmission de cette musique et les aménagements qui ont permis d'en graver ces pages rares.

LB