Chroniques

par anne bluet

récital Earl Wild
Barber – Hindemith – Stravinsky – Wild

1 CD Ivory Classics (2000)
71005
récital Earl Wild | Barber – Hindemith – Stravinsky – Wild

Dès l'âge de six ans, les dons de Samuel Barber (1910-1981) furent évidents. Adolescent, il intègre le tout nouvel Institut de Musique Curtis de Philadelphie où il étudiera la composition, le piano, le chant. Si bien qu'il se met à composer sérieusement à l'âge de dix-huit ans. Une de ses premières œuvres sera bientôt jouée, en 1933, par l'orchestre de la ville. La Sonate Op.26 lui fut commandée en 1947, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la Ligue des Compositeurs. Si le début de la composition s'avéra facile, Barber mis deux ans pour achever ses quatre mouvements qui furent créés à New York le 23 janvier 1950. Elle ne fut pas composée pour lui spécialement, mais c'est Vladimir Horowitz qui en fut l'interprète, lui pour qui l'œuvre semblait la première véritable réussite américaine de sonate pour cet instrument. Il ne fut pas le seul, puisque malgré ses difficultés techniques, la Sonate fut de plus en plus jouée. Quant à Poulenc qui l'entendit cette année-là, il disait l'aimer sans réserve – « c'est un remarquable travail, d'un double point de vue musical et instrumental ». Alliant une émotion intense à une construction solide et à une maturité intellectuelle évidente, cette œuvre, de par le recours à un langage musical moderne avait tout pour séduire l'amateur exigeant. Le pianiste américain Earl Wild s'ingénie, sur cet enregistrement, à souligner tout ce que cette sonate porte de modernité, allant bien à l'encontre de ce que l'on pourrait s'attendre à écouter ; ici, rien du sucre de bien de ses œuvre plus célèbres.

Igor Stravinsky (1882-1971) achève sa Sonate en 1924. C'est une de ses rares pièces ou transcriptions (une douzaine) pour piano seul. Elle fut composée à Biarritz et Nice, et dédiée à la Princesse de Polignac. Stravinsky en parle ainsi : « je lui ai donné ce titre mais sans lui imposer la forme classique que nous trouvons chez Clémenti, Haydn et Mozart et qui est – comme on le sait – conditionnée par le recours à l'Allegro. J'ai utilisé le terme sonate dans sa signification originale, comme venant de sonareet non de cantareet de son dérivé cantata. Par conséquent, je ne me suis pas senti restreint par une forme devenue coutumière depuis la fin du XIXe siècle ». Il ajoute qu'à l'époque, il souhaitait examiner de plus près les sonates des maîtres (Beethoven, principalement) afin de suivre la direction et le développement de leurs pensées dans la résolution des problèmes de forme. Celle-ci fut créée par le compositeur à La Fenice, le 8 septembre 1925. Wild en offre ici une interprétation particulièrement dynamique, avec un Adagietto central d'une délicieuse tendresse.

Depuis l'époque où il étudiait au Conservatoire, Paul Hindemith (1895-1963) a gardé un goût pour la composition pianistique. Loin de l'héritage lisztien, de Debussy ou de Ravel, il développe son propre style, voyant le piano comme « un genre de percussion intéressant » qui lui permet de cultiver une certaine neutralité. Sa musique se voudra « ni une orgie de sons, ni l'expression voluptueuse d'une cantilène ». Entre 1935 et 1943, l’Allemand écrit une série de sonates, une au moins pour chacun des instruments les plus usités traditionnellement. Dans cette somme, il y en a trois pour le piano, qui se distinguent aisément les unes des autres : la première est toute tension, la seconde se veut d'une simplicité à la complexité déguisée, et la troisième s'avère polyphonique et chantante. Achevée en 1936, elle possède quatre mouvements. Le musicologue allemand Stuckenschmidt y a vu une volonté de simplifier l'harmonie en réaction contre les dissonances systématiques de la musique moderne. Apparemment en accord avec cette vue, Earl Wild ménage à son interprétation une sonorité plutôt ronde qui n'est pas sans pouvoir évoquer le romantisme. Cela n'entrave en rien cette somptueuse tonicité qu'on leur connaît (l'œuvre et le pianiste !), ni une expression en générale tout à fait brillante.

Enfin, c'est à Earl Wild lui-même que nous devons le XXIe siècle présent dans le titre du disque. « J'ai achevé le travail sur ma Sonatequelques jours avant d'entrer en studio, confie-t-il. Je l'ai écrite dans un style traditionnel en trois mouvements. Mon exaspération envers le courant dodécaphoniste m'a amené à la penser dans une veine plutôt populaire. Ma Sonate n'est ni prétentieuse ni intellectuelle. C'est purement une expression de plusieurs moments de ma longue vie ». Ainsi, le premier mouvement bluesy est-il un écho d'une chanson de la Guerre Civile que lui chantait sa grand-mère. Le second mouvement, plutôt mélancolique, se réfère à la musique populaire des années vingt. Quant au troisième, c'est une Toccata au rythme sud-américain, sous-titrée à la Ricky Martin, chanteur de variétés Portoricain que Wild admire pour ses positions politiques, son aisance… et son charme. Cet enregistrement a ceci de fort touchant qu'il se nimbe savamment d'un parfum de quasi improvisation qui lui confère un caractère relativement nonchalant.

AB