Chroniques

par michel slama

récital Anna Caterina Antonacci
Cesti – Cilea – Hahn – Refice – Respighi – Tosti

1 CD Wigmore Hall Trust (2012)
WHLive 0054
Anna Caterina Antonacci chante Cesti, Cilea, Hahn, Refice, Respighi et Tosti

Les enregistrements d’Anna Caterina Antonacci sont rares, qui plus est en récital. La firme du Wigmore Hall, qui capte ses propres programmes donnés dans le lieu éponyme, livre aujourd’hui l’un de ses récitals magiques, celui du 5 décembre 2011. Celle qui sait être une redoutable Médée [lire notre chronique du 22 mai 2005 et notre critique du DVD] ou une poignante Cassandre [lire nos critiques DVD de la production de Londres et de celle du Châtelet] s’avère également l’interprète délicate et passionnée de mélodies. Depuis 2011, la diva a transporté le même type de programmes à thème en Europe et en Amérique du Nord, autour de compositeurs du tournant du XXe siècle, période qu’elle affectionne particulièrement [lire notre chronique du 5 février 2011]. Le titre de cet album L’Alba separa dalla luce l’ombra (l’Aube sépare la lumière de l’ombre) fait référence au tube des ténors du cycle Tosti, mis au centre de ce menu.

Venezia, recueil de Reynaldo Hahn, est un habitué de ces tournées. Ce cycle de six chansons composées en dialecte vénitien est fort bien servi par le disque : par Hahn lui-même, d’une modernité surprenante en 1909, puis par Georges Thill, Gérard Souzay et René Doria. Plus près de nous, la concurrence est rude avec, entre autres, Joyce DiDonato et Anne Sophie von Otter. C’est dire combien la prestation d’Antonacci est attendue dans ces pages douces-amères en forme de cartes postales où, tour à tour, la chanteuse italienne se montre séductrice, désinvolte, tendre ou passionnée. Elle canalise sa voix controversée de tragédienne à la palette de couleurs qu’exige ce répertoire. Aucun vibrato intempestif ne lui saurait être ici reproché, ni de duretés métalliques.

Anna Caterina Antonacci est une conteuse exceptionnelle qui propose un personnage à chaque mélodie, grâce à un italien naturellement idiomatique où chaque mot prend son sens exact. L’autre cycle indispensable de ce disque est celui de Francesco Paolo Tosti, grand mélodiste de salon, maître de chant de la cour d’Italie et à celle d’Angleterre, au début du siècle dernier : Quattro canzoni d’Amaranta, sur des poèmes de Gabriele d’Annunzio. La deuxième chanson, L’alba, fut interprétée par les plus grands ténors, de Caruso à Pavarotti. Là encore, le soprano impose une interprétation originale, à sa façon, privilégiant aux décibels et aux effets véristes la pureté du chant et l’intelligence du texte. Elle campe ainsi plusieurs caractères mélancoliques et désabusés, mais sans pathos, et redonne sens à l’intégralité de cet opus méconnu.

Les trois airs brefs qui suivent sont de Francesco Cilea qu’on connaît plus pour son Adrienne Lecouvreur. C’est l’occasion de découvrir quelques incunables, quasiment introuvables au disque, privés là encore de leur manteau vériste. Ces mélodies attachantes s’inscrivent justement dans la voix de l’interprète et de la continuité du programme. Passons vite sur l’air fameux de Licinio Refice, Ombra di nube, indifférent et sans éclat si on le compare à ce qu’en font Claudia Muzio, sa créatrice, Renée Fleming et surtout Jonas Kaufmann.

Exception temporelle de ce récital, l’air antique bien connu d’Antonio Cesti, compositeur du XVIIe siècle, est suivi d’une rareté absolue : Sopra un’aria antica d’Ottorino Respighi. On sait combien, à l’instar de Stravinsky, Respighi aimait à redonner vie au baroque assez méprisé jusqu’en 1960. Sa mélodie consiste en une longue paraphrase d’une page « antique » qui la précède ici. Fidèle à sa logique, Antonacci choisit, comme dans son unique bis (Marechiare de Tosti) d’en donner une interprétation intelligente et sensible, sans céder aux sirènes véristes.

Donald Sulzen, son pianiste fétiche, l’accompagne rigoureusement, en épousant toutes ses intentions. Ce musicien étatsunien de talent, formé en France, est aussi un chambriste d’exception qui collabore au Trio de Munich. Au final, un disque un peu court (50’30) mais passionnant, à conseiller en priorité aux amateurs d’Anna Caterina Antonacci et de cette musique très particulière.

MS