Chroniques

par bertrand bolognesi

Piotr Tchaïkovski
Mazeppa

1 coffret 3 CD Deutsche Grammophon (2005)
477 5637
Piotr Tchaïkovski | Mazeppa

Deutsche Grammophon poursuit ses publications Opera House avec cette réédition de la gravure par Neeme Järvi du Mazeppa de Tchaïkovski. Après La Pucelle d'Orléans (1881) dont le livret empruntait à Schiller, le musicien revint avec le présent ouvrage aux vers de Pouchkine (Poltava) dont l'œuvre avait déjà inspiré Eugène Onéguine (1879). Si l'on ne rencontre pas dans Mazeppa le génie et l'audace de la pièce écrite pour les jeunes chanteurs Collège Impérial, pas plus qu'on y soupçonne le talent de La Dame de Pique (1890), ses trois actes s'articulent sur une dramaturgie probante tout en offrant des moments tout à fait intéressants qui contredisent les mots de Michel Hofmann : « Il n'y a qu'un instant prodigieux – trois minutes montre en main – dans toute la partition, c'est la berceuse que Marie, devenue folle, chante devant le cadavre d'Andreï » (in Tchaïkovski, Le Seuil, 1959). Certes, l'auditeur partagera facilement l'avis de cet auteur quant à l'effet que cette berceuse aura sur l'héroïne, jusqu'alors perçue comme assez mièvre. Mais la verve lyrique de l'écriture du rôle d'Andreï, par exemple, est, à n'en pas douter, du meilleur Tchaïkovski. S'il fallait convaincre, citons a contrario André Lischke qualifiant Mazeppa de « son seul opéra historique vraiment réussi » (in Histoire de la musique russe, Fayard, 2006).

Effectué en Suède en août 1993, cet enregistrement offre une distribution vocale satisfaisante. Le timbre clair et l'impact hyper-défini de Monte Pederson livrent un Orlik efficace. Avantageusement phonogénique, la voix d'Anatoli Kotcherga manque toutefois d'égalité, son Kotchoubeï oubliant souvent la justesse au profit d'effets abusifs, jusque dans ses lamentations du début du deuxième acte. Avec une belle conduite du chant et une couleur toujours chaude, Galina Gorchakova donne une Maria élégante ; particulièrement touchante dans Baïou, chki baïou, la fameuse berceuse qui accorde une nouvelle aura au personnage, elle rivalise de nuances et de raffinements dans l'ultime duo. Présence immédiatement captivante, couleur cuivrée, inflexion volontiers incisive et legato toujours bien mené (mélodie amoureuse de la fin du premier acte, notamment) : autant de qualités dont Sergeï Leiferkus fait bénéficier son interprétation du rôle-titre. Indéniablement, deux voix dominent cette gravure, dans des rôles moins développés : Lioubov, la mère de Maria, et Andreï, le jeune rival de Mazeppa. Par une conduite sensible et gracieuse de la dynamique, un phrasé onctueux, un timbre suave, Sergeï Larin convainc aisément, dans la déclaration du premier acte comme dans la passion vengeresse du troisième à laquelle il réserve une surprenante raucité de la couleur. C'est au charisme de Larissa Diadkova que l'on a confié le rôle de Lioubov ; expressif et intelligemment nuancé, son chant doté d'un grave richement coloré, d'un médium onctueux et d'un aigu lumineux impose le contralto comme LA voix de ce disque.

Le Chœur de l'Opéra Royal de Stockholm incarne remarquablement le peuple ukrainien. À la clarté d'une première intervention strictement féminine, fort élégante, répond la vaillance de tutti parfaitement maîtrisés. À la tête du Göteborgs Symfoniker, Neeme Järvi signe une lecture à la fois tonique et nuancée où les cordes s'avèrent d'une belle tendresse, dans un relief qui retient l'écoute. Dans le dernier acte, d'une tension haletante, la fosse se montre tant souple que vigoureuse.

BB