Chroniques

par bertrand bolognesi

Maurice Ravel
pièces pour piano

1 CD Évidence (2021)
EVCD 083
Clément Lefebvre cisèle la musique de Ravel, un CD Évidence

C’est au Théâtre Élisabéthain récemment érigé aux confins du parc du château si fantaisiste d’Hardelot, à dessein d’accueillir The Midsummer Festival à la fin de chaque printemps [lire nos chroniques du 13 juin 2010 et du 19 juin 2011], qu’en avril 2021 Alice Legros installait ses micros pour enregistrer ce récital Maurice Ravel du jeune pianiste Clément Lefebvre. Six opus du compositeur français font le présent disque.

D’emblée, c’est la sonorité délicatement perlée, et plutôt favorablement définie dans le registre haut de l’instrument, qui frappe à l’écoute du Menuet antique de 1895. Le raffinement du travail de pédalisation, inventant un velours certain aux autres étages du grand crocodile, séduit aisément, conjugué à l’élégance du phrasé ainsi qu’à la clarté de la narration. Pour sûr, la fréquentation des pages d’un répertoire plus ancien qui ne furent pas écrites pour le piano stimule l’inventivité de l’interprète, dès lors parfaitement à même de servir ce regard particulier que Ravel porta vers le passé. L’amabilité gracieuse qui fait la signature de son jeu magnifie plus encore la Pavane pour une infante défunte (1899) dont convainc le cantabile serti dans une discrétion subtile dont témoignent les joyaux harpistiques de l’ultime reprise du motif. On doit à Franck Hammond le réglage soigné du Yamaha CFX que font si joliment sonner ces doigts.

De la Sonatine (1905), le miroitement initial du Modéré paraît toutefois plus robuste, sans que tel choix nuise véritablement au charme de l’approche. De fait, la déclinaison de la nuance bénéficie d’une ciselure inspirée, ce que ne dément pas le Menuet médian dont la fausse simplicité menaçait de quelque crudité : il n’en est rien, l’amble calme du geste laissant naître d’irrésistibles onctuosités. Encore goûte-t-on la fluidité habilement respirée du dernier mouvement où l’artiste ne renonce pourtant point à l’art du contraste. La tendresse inouïe qui caractérise cette lecture du bref Menuet sur le nom de Haydn (1909) est un bonheur en soi.

Et la survenue de la première des huit Valses nobles et sentimentales de 1911 d’alors drument réveiller de tout alanguissement ! Alternant le moelleux et l’incisif, Clément Lefebvre [lire nos chroniques des 9 et 10 août 2021] trace un parcours bien à lui dans le recueil dont il se garde de trop appuyer l’influence parfois jazz (II et VII, par exemple), peaufinant la machine (VII, encore) tout en s’attachant plus amoureusement aux secrets et autres sortilèges (III et VIII, dont les citations gagnent une couleur mélancolique). Durant la Grande Guerre, Ravel écrit Le tombeau de Couperin que Marguerite Long créera cinq mois après l’Armistice. Le pianiste exprime une conception plus vaste, pour ainsi dire, avec un Prélude presque orchestral, puis il joue avec une précision féconde de la pluie baroquisante de la Fugue, au format plus étroit. Passé Forlane, légère et savamment lumineuse, comme un joyau, la cordialité un rien conquérante du Rigaudon, loin de contredire les finesses ornementales à l’œuvre au fil du CD, en scelle loyalement l’agrément, plus évident encore dans le Menuet, proprement exquis. Demeure la redoutable Toccata, petit défi à la technique pianistique, ici tant loyalement relevé que toute difficulté semble s’être miraculeusement évanouie pour laisser, seule, la musique. Bref, ce disque est un cadeau !

BB