Chroniques

par laurent bergnach

Mâkhi Xenakis
Iannis Xenakis – Un père bouleversant

Actes Sud (2015) 232 pages
ISBN 978-2-330-03969-1

Le 11 novembre 1947, condamné à mort par contumace, un jeune résistant communiste prend le train pour Paris, muni d’un faux passeport : Iannis Xenakis (1922-2001). Il fuit la Grèce qui, dès l’enfance, l’a confronté à nombre d’épreuves (mort de sa mère, bagarres de pensionnat, blessure d’un obus lors de l’occupation britannique) mais aussi à des découvertes qui, avec le sport, l’aideront à se construire une vie d’homme selon le modèle antique (philosophie, mathématiques, musique, etc.).

En France, l’architecte Le Corbusier et Françoise Gargouil, future assistante sociale et critique littéraire, vont lui donner respectivement du travail et une nouvelle famille. Il rencontre également Messiaen qui, devant cet homme hors du commun boudé par Honegger, Milhaud et Schaeffer, ose un conseil du même ordre : « vous avez déjà trente ans, vous avez la chance d’être grec, d’avoir fait des mathématiques et de l’architecture. Profitez de ces choses-là et faites-les dans votre musique ». La politique appartient au passé ; désormais, Xenakis va changer le monde avec un art fréquenté dès l’enfance dans une chorale (chants folkloriques, polyphonies de la Renaissance), puis lors de cours particuliers (harmonie, contrepoint, analyse) suivis en parallèle d’études déjà denses (polytechnique, droit, physique, littérature).

Avec cet ouvrage, Mâkhi Xenakis (née en 1956) n’a pas voulu faire œuvre de spécialiste – la musicologie et les mathématiques ne sont pas son quotidien –, mais témoigner de « l’homme bouleversant » qu’elle a connu, au delà du disciple de Platon et de Pythagore. S’appuyant sur des carnets datés avec précision, elle cerne les pensées de l’intéressé, ses interrogations sur le chemin artistique à défricher – « il faut que je continue le dépouillement du son et du rythme », « surtout pas de trémolos ni d’émotions artificielles », etc. Différentes brouilles (Le Corbusier) et mises à l’index (cercle sériel) sont aussi évoquées, qui déstabilisent Xenakis avant l’âge d’or des Polytopes (spectacles de sons et lumières) et de l’UPIC (ordinateur de composition) – on aurait pu aussi écrire « Cité de la musique de la Villette », s’il avait remporté le concours.

Outre quantité de notes manuscrites et d’ébauches de partition, le livre foisonne de photos de famille qui illustrent la disponibilité de Xenakis en tant que père aimant et attentif… pas toujours facile à vivre. Souvent, on plaint l’épouse, qui n’aime pas du tout la mer, de vivre des étés corses avec un fou de kayak, et sa fille, peintre en devenir, d’être sermonnée pour s’éloigner du monde des sciences. Par ces confessions sincères, entre tendresse et ressentiment, un portrait plus complet se dessine, faisant découvrir le compositeur à qui ne connaît pas son parcours d’architecte-musicien, et l’homme intime à qui n’appréhendait que son travail.

LB