Chroniques

par laurent bergnach

Ludwig van Beethoven – Arnold Schönberg
sextuors à cordes

1 CD NoMadMusic (2020)
NMM 070
Le sextuor à cordes Les Pléiades jouent Beethoven et Schönberg

Après un volume inaugural qui mettait à l’honneur le quintette de cuivres (NMM 063), la collection de musique de chambre des Siècles – formation sur instruments d’époque, créée par François-Xavier Roth – propose d’entendre, cette fois, des sextuors à cordes. Ce programme réunissant Beethoven et Schönberg est défendu par six musiciennes s’étant regroupées en 2011 sous le nom Les Pléiades : les violonistes Laetitia Ringeval et Caroline Florenville, les altistes Carole Dauphin et Marie Kuchinski, ainsi que les violoncellistes Jennifer Hardy et Amaryllis Jarczyk.

Moins de cinq ans après la création de sa Symphonie en ut majeur Op.21 n°1 (1800) que marquait la double influence d’Haydn et de Mozart, Ludwig van Beethoven (1770-1827) commence déjà à travailler sur ce qui deviendrait la Symphonie en fa majeur Op.68 n°6, créée à Vienne le 22 décembre 1808. Prendre la nature comme source d’inspiration n’est pas nouveau – ne trouve-t-on pas déjà des orages chez Vivaldi (Le quattro stagioni, 1725), pour ne citer que le plus évident ? –, mais le natif de Bonn cherche moins à peindre le paysage que l’univers émotionnel de l’observateur, comme l’indique assez son sous-titre : Symphonie Pastorale, ou Souvenir de la vie rustique, plutôt émotion exprimée que peinture descriptive. Et Beethoven connaît son sujet, puisque plusieurs témoins ont décrit le musicien en extase au milieux des arbres ou sous la pluie, dont son confrère et ami Charles Neate qui confirme que « la nature était pour ainsi dire sa nourriture ». En 1810, l’organiste Michael Gotthard Fischer (1773-1829) s’empare de l’œuvre en cinq mouvements pour en tirer la présente transcription.

D’emblée, celle-ci offre au mélomane une gravure plutôt qu’une toile peinte, avec des bénéfices certains. En effet, si le côté spatial de l’œuvre originale est perdu, si le figuralisme qu’elle abrite appelait la diversité des timbres, on gagne une intimité avec le dessin compositionnel. Le relief pris par les modulations y dépasse le prétexte, sublimant l’aspect musique pure que possède moins l’opus pour orchestre, en comparaison. Dans Scène au bord du ruisseau, l’adaptation de Fischer met en valeur le tissu plutôt que la chanson du mouvement, quand dans Chant pastoral la reconstruction du motif par absence en fragments accumulés revêt une nudité qu’elle ne peut avoir avec une large formation instrumentale. À divers moments, les musiciennes s’appliquent à rendre ce côté musique populaire qui annonce Schubert, entre cantique et chanson à boire – sans oublier la vielle à roue –, et favorisent l’enthousiasme et la tendresse plutôt que les élans conclusifs péremptoires typiques de Beethoven.

La Pastorale ouvre le XIXe siècle quand Verklärte Nacht Op.4 le referme. Créé à Vienne le 18 mars 1902, ce drame musical inspiré par cinq strophes du poète Richard Dehmel (1863-1920) fut composé en septembre 1899, à la fin de l’été qui vit Arnold Schönberg (1874-1951) tomber amoureux de Mathilde Zemlinsky. Alors sous l’influence de Brahms, Strauss et Wagner, le futur dodécaphoniste y cultive des contrastes puissants de texture et de tonalité, valorisant la sensibilité, comme il le ferait encore quarante ans plus tard, dans l’article Comment on exécute aujourd’hui la musique romantique (1948). Il y fustige les chefs européens soumis à une tiédeur puritaine transmise par les États-Unis d’Amérique – « ils eurent tous peur de passer pour des romantiques, ils eurent tous honte de paraître sentimentaux » –, avant de conclure : « pourquoi donc écrit-on, joue-t-on de la musique ? N’est-ce pas par sentiment romantique ? Pourquoi jouez-vous du piano alors que vous pourriez prouver la même agilité de vos doigts en tapant sur une machine à écrire ? » (Le style et l’idée, Éditions Buchet/Chastel, 1977)

Si l’essence et la démarche baroques des Pléiades apportaient à l’œuvre de Beethoven un indéniable intérêt, il n’en est rien dans celle de Schönberg, à des lieux de l’expressionnisme attendu… et nécessaire ! Certes, Dehmel plantait le décor d’une forêt « chauve et froide », mais la lune la baigne d’une lumière vibrante, tandis que le couple qui la traverse rayonne de chaleur, ce qui n’a pas échappé au musicien. Ici, l’absence de couleurs est d’autant plus flagrante qu’elle s’accompagne de soucis de rythme et de justesse – c’est dommage.

LB